Donald Trump a réussi à faire approuver par le Sénat mercredi son chef de la diplomatie Rex Tillerson, mais les élus démocrates veulent ralentir les autres nominations des principaux membres de l'administration américaine et de son candidat à la Cour suprême.

Après une bataille acharnée, le Sénat a confirmé l'ancien PDG d'ExxonMobil au poste de secrétaire d'État, par 56 voix en sa faveur contre 43. L'industriel texan de 64 ans devient ainsi le visage de la diplomatie américaine, succédant à John Kerry qui a quitté son poste le 19 janvier.

Il a ensuite prêté serment dans la soirée pour être officiellement confirmé dans ses fonctions.

«Il a quitté un très bon boulot pour [faire] ça», a lancé Donald Trump lors de la prestation de serment à la Maison-Blanche, estimant qu'avec le 69e secrétaire d'État, «un homme respecté à travers le monde», les États-Unis «pourront parvenir à la paix et à la stabilité en cette époque très, très troublée».

Mais les choses sont plus compliquées pour les autres candidats choisis par Donald Trump.

En effet, après avoir fait face à une féroce opposition avec une majorité républicaine au Congrès durant une bonne partie de la présidence Barack Obama, concédé la présidentielle et assisté impuissants depuis l'arrivé de Donald Trump à la Maison-Blanche à la démolition du legs de son prédécesseur, les démocrates tiennent l'occasion de prendre leur revanche.

Le leader de la minorité démocrate au Sénat Chuck Schumer a prévenu qu'il insisterait pour que le nouveau juge à la Cour suprême retenu par Donald Trump, Neil Gorsuch, soit confirmé avec une supermajorité de 60 votes de sénateurs sur 100.

Il n'y a que 52 sénateurs républicains et ce scénario les obligerait à convaincre au moins huit de leurs adversaires démocrates.

En cas de blocage, les républicains pourraient aussi changer les règles pour pousser leur candidat à travers une majorité simple, «l'option nucléaire» comme la surnomme Donald Trump.

Politique d'obstruction

«Si nous sommes bloqués ainsi je dirais: «Si tu peux Mitch, prend l'option nucléaire». Parce que ce serait une honte absolue qu'un homme de sa qualité soit négligé» a déclaré le président américain mercredi matin, faisant référence à Mitch McConnell, chef de la majorité républicaine au Sénat.

«Nous voulons qu'il [M. Gorsuch] passe par un processus de nomination élégant, pas par un processus dégradant parce qu'ils sont vraiment dégradants de l'autre côté, et ils veulent vous faire passer pour aussi mauvais que possible, et la presse peut être très dégradante aussi», a ajouté le milliardaire lors d'une réunion avec Neil Gorsuch.

Les élus démocrates veulent entrer en résistance et l'ont fait savoir dès l'annonce de la nomination du neuvième sage de la haute cour. Il faut dire qu'après le décès soudain du juge Antonin Scalia en février dernier, les sénateurs républicains avaient refusé d'auditionner le candidat choisi par Barack Obama pour le remplacer, Merrick Garland.

Cette politique d'obstruction, critiquée car sabotant le jeu normal des institutions, semble avoir fini par payer pour les républicains, même si le processus de confirmation du juge Gorsuch pourrait, en tout état de cause, durer plusieurs mois.

Donald Trump fustige depuis plusieurs jours le blocage systématique de ses adversaires politiques, qui ont boycotté plusieurs auditions de commissions sénatoriales pour entendre les candidats controversés pour les postes de ministres du Trésor (Steven Mnuchin) et de la Santé (Tom Price).

La réponse des républicains a été cinglante: ils ont contourné mercredi la règle du quorum pour faire approuver ces deux ministres, une décision sans précédent.

MM. Mnuchin et Price doivent toutefois encore être approuvés par le Sénat dans son ensemble, à la majorité simple.

Le Vatican «préoccupé»

Les choses sont encore plus mal engagées pour la candidate au poste de ministre de l'Éducation, Betsy DeVos: elle a été si peu convaincante lors de ses auditions que deux sénatrices républicaines ont annoncé qu'elles ne voteraient pas pour elle, ouvrant la voie à une éventuelle égalité à 50 voix favorables et 50 voix contre.

Le vice-président Mike Pence serait alors appelé à faire basculer le vote dans un sens ou dans l'autre, à moins que davantage de républicains ne fassent défection, ce qui mettrait Mme DeVos dans une position très précaire.

«C'est une éducatrice incroyablement qualifiée, une avocate pour les étudiants, les enseignants, les parents. Je pense que les jeux qui sont joués avec Betsy DeVos sont tristes», a regretté mercredi le porte-parole de la Maison-Blanche, Sean Spicer, lors de son point presse quotidien.

Ces luttes de pouvoir sur la colline du Capitole ont en tout cas détourné l'attention du décret anti-immigration signé par Donald Trump vendredi, qui suspend l'entrée aux États-Unis des ressortissants de sept pays à majorité musulmane et de tous les réfugiés.

Un sujet de «préoccupation» pour le Vatican et pour la première ministre britannique Theresa May, pourtant une alliée enthousiaste de M. Trump, qui a reconnu qu'il s'agit d'«une erreur» qui «sème la discorde».

Qui est Rex Tillerson

Le Texan de 64 ans, dont 41 passés au sein du géant pétrolier américain, va représenter la voix et le visage à l'étranger de la première puissance mondiale.

Donald Trump, un magnat de l'immobilier aux options de politique étrangère nationalistes et isolationnistes, ne connaissait pas Rex Tillerson jusqu'à ce que d'anciens ministres républicains -l'ex-chef du Pentagone Robert Gates et l'ancienne secrétaire d'État Condoleeza Rice- lui soufflent son nom début décembre.

Ce mari et père de quatre enfants, qui fut aussi président des scouts américains, est ingénieur de formation, entré à ExxonMobil en 1975 avant d'en gravir tous les échelons jusqu'à en être le grand patron de 2006 au 31 décembre dernier.

Intelligence froide, carrure imposante, voix grave et visage impassible, ce novice complet en politique avait exposé il y a trois semaines, durant neuf heures d'audition au Sénat, sa vision de la politique étrangère de l'Amérique.

De manière inattendue, il s'était démarqué des options diplomatiques de Donald Trump, qu'il s'agisse de la Russie, de la prolifération nucléaire ou du changement climatique.

Le «danger» russe 

Bien que proche du président Poutine qui l'avait décoré en 2012-2013 de l'ordre de l'Amitié pour les investissements d'Exxon dans le pétrole russe, Rex Tillerson avait jugé devant le Sénat que Moscou était «un danger» pour l'Europe et l'OTAN et que les États-Unis et la Russie ne seraient «probablement jamais amis».

Des propos belliqueux qui tranchaient avec ceux conciliants de Donald Trump qui n'a cessé de louer «l'intelligence» du chef de l'État russe dont il veut se rapprocher.

A l'instar du nouveau président américain, son secrétaire d'État était en revanche resté très évasif sur le maintien des sanctions antirusses prises à partir de 2014 par l'administration de Barack Obama en raison du conflit en Ukraine.

Lors de sa nomination en décembre, des experts s'étaient également émus des conflits d'intérêts pour cet homme d'affaires promu chef de la diplomatie après quatre décennies de carrière chez ExxonMobil, un géant pétrolier présent dans 50 pays, dont la Russie, l'Arabie saoudite, l'Angola ou la Libye.

La multinationale, à la valorisation boursière de quelque 350 milliards de dollars, et son ancien patron ont assuré en janvier qu'ils avaient coupé tous leurs liens. Notamment en ce qui concerne l'actionnariat.



Photo Alexei Druzhinin, Associated Press

Le président Poutine avait décoré Rex Tillerson en 2012-2013 de l'ordre de l'Amitié.