De vastes domaines près de la mer avec piscine, espaces de jeux et salles de réception: les deux propriétés russes proches de New York et Washington dont les Américains ont annoncé la fermeture jeudi permettaient aux diplomates de se détendre loin des regards indiscrets, fidèles à la tradition de la datcha russe.

Dans l'élégante commune de Glen Cove, à un peu moins d'une heure de Manhattan et 5 minutes des plages de Long Island, se trouve un lieu de villégiature privilégié réservé aux diplomates russes des Nations Unies: une maison de pas moins de 49 pièces construite au début du XXe siècle pour l'industriel George duPont Pratt.

Baptisée Killenworth, cette propriété de près de 6 hectares, abritée derrière une grande grille en fer forgé et un vaste terrain boisé est censée avoir servi de nid d'espions au Kremlin. Un Kremlin accusé d'avoir orchestré le piratage informatique de milliers de courriels de responsables démocrates, brouillant le message de la candidate Hillary Clinton.

Les autorités américaines ont ordonné l'évacuation des lieux pour midi, mais l'endroit paraissait déjà désert vendredi matin, et l'interphone restait muet.

Ce n'est pas la première fois que ce complexe, comme celui du Maryland dont les autorités américaines ont également annoncé la fermeture, se retrouve pris dans l'engrenage des tensions russo-américaines.

Au début des années 80 déjà, sous Ronald Reagan, des accusations d'espionnage avaient valu aux diplomates qui fréquentaient Killenworth d'être privés par la municipalité de Glen Cove d'accès aux plages, courts de tennis et terrains de golf municipaux.

Les rumeurs d'espionnage entourent aussi depuis longtemps le complexe du Maryland, situé à une heure et demie du centre de Washington, depuis son rachat par les Soviétiques en 1972.

Au début, certains résidents craignaient même que des sous-marins nucléaires russes fassent des sorties dans la Chester River toute proche, selon le Washington Post.

Anonymat total

Accusations toujours démenties par les Russes, hier comme aujourd'hui, qui affirment que ces domaines ne sont là que pour permettre aux diplomates et à leur famille de profiter de moments de détente bien mérités, à la façon des traditionnelles datchas que les Russes chérissent tant.

L'ambassadeur russe à l'ONU Vitali Tchourkine s'est dit ainsi vendredi «scandalisé que (les autorités américaines) mettent nos enfants dehors. Elles savent parfaitement que ces deux complexes sont des lieux de vacances pour nos enfants».

Le domaine du Maryland, plus vaste encore que celui de Long Island avec 18 hectares, constitue la plus parfaite des datchas, avec ses courts de tennis, sa piscine et ses pontons permettant baignades et promenades en bateau sur la rivière Chester.

«Comme nous avons une activité débordante à Washington, nous avons besoin d'un endroit où nous cacher un peu», expliquait ainsi en 2007 au Washington Magazine Svetlana Ouchakova, la femme de l'ambassadeur de Russie à Washington à l'époque.

Pouvoir «se cacher»: c'est toute l'ambiguïté de ces domaines, qui fait d'eux des lieux de suspicion privilégiés en cette période de tensions exacerbées entre Moscou et Washington.

A Glen Cove, notamment, les voisins sont rares et les distances entre les propriétés telles que chacun peut vivre dans l'anonymat total.

Juste derrière les fenêtres de Killenworth se trouve un centre de rééducation médicale. Josephine Grella y travaille depuis trois ans et dit n'avoir «jamais rien entendu, ni vu» ses voisins.

De l'autre côté de la propriété se trouve Glen Cove Mansion, un lieu de réceptions et de mariages. La réceptionniste indiquait vendredi ignorer totalement que ses voisins étaient des Russes.

Ester Gurgov, qui tient un salon de coiffure à un kilomètre de là, est au courant. Il faut dire qu'elle est d'origine russe et coiffeuse, et qu'avant leurs soirées, un certain nombre de diplomates ont pris l'habitude de venir à son salon.

«Mais ils ne me disent pas ce qu'ils font», assure-t-elle, «je le sais parce qu'ils parlent parfois de leurs réceptions et que je vois les plaques diplomatiques sur leurs voitures».

Installée depuis 25 ans aux États-Unis, Mme Gurgov explique avoir voté pour Donald Trump. Mais pas parce qu'il promet d'améliorer les relations russo-américaines, juste pour que s'améliore «le climat des affaires», dit cette femme qui préfère «ne pas se mêler de politique».