Noël en Floride. C'est le cadeau que Pamela Benitez, une étudiante de 18 ans, et sa famille voulaient s'offrir en 2016. Un cadeau pour lequel son père, travailleur de la construction, et sa mère, femme de ménage, avaient mis de l'argent de côté tout au long de l'année. Un cadeau qui faisait rêver sa soeur cadette, seul membre du clan à avoir vu le jour aux États-Unis et non au Paraguay.

Mais les Benitez ne se doreront pas au soleil de la Floride le 25 décembre. Ils resteront à New York. Ainsi en a décidé le père, qui a annoncé la nouvelle à ses enfants au lendemain de l'élection de Donald Trump à la présidence. Ce jour-là, Pamela a eu du mal à reconnaître celui qui était toujours le plus optimiste de la famille.

«De voir son visage défait, d'entendre sa voix brisée, ça m'a tuée», raconte la jeune femme dans un café situé près de Hunter College, un des campus de l'Université de la Ville de New York, où elle étudie. «Il a dit : "Nous devons annuler notre voyage en Floride pour économiser notre argent, au cas où." Ma mère a tenté de faire bonne figure en me disant de me concentrer sur mes études. Elle a ajouté, en parlant de Trump : "Il n'agira pas en fou. Mais sois prudente. Sois prudente dans le métro, surtout."»

Les Benitez font partie des quelque 11 millions d'immigrés illégaux aux États-Unis. Leur réaction à l'élection de Trump est inspirée par une peur partagée par la plupart d'entre eux, celle d'être expulsés ou harcelés. Parfois, cette peur est éclipsée par un choc lié à la réalisation qu'une partie importante de l'électorat américain a voté pour un candidat dont le message était, selon eux, marqué du sceau de la xénophobie.

«La haine a triomphé de la raison», dit Luisa Cuautle, présidente d'une association d'étudiants «sans papiers» de Hunter College. «Quand je parlais de Trump avant l'élection, je disais toujours aux gens qu'il n'y avait pas assez d'électeurs fous pour l'élire, qu'il y aurait assez d'électeurs raisonnables pour le battre. J'avais tort, semble-t-il. C'est tellement frustrant.»

Comme Pamela Benitez, Luisa Cuautle, 21 ans, fait partie des «Dreamers», surnom qui fait référence à un projet de loi - Dream Act - dont l'échec a poussé Barack Obama à créer en 2012 un programme qui est désormais menacé par Trump. Ce programme protège de toute expulsion quelque 750 000 immigrés illégaux de 15 à 30 ans qui sont arrivés enfants sur le territoire américain avec leurs parents. Pour y être admissibles, les immigrés doivent avoir un dossier judiciaire vierge, être à l'école secondaire, diplômés ou anciens combattants.

Or, dès son entrée en fonction à titre de 45e président, Trump pourrait mettre fin à ce programme par simple décret, comme il l'a promis lors de sa campagne présidentielle, et entamer l'expulsion de millions d'immigrés illégaux.

«C'est très inquiétant», dit Luisa Cuautle, qui est arrivée aux États-Unis à l'âge de 1 an avec ses parents mexicains. «Tous les Dreamers de notre campus ont peur. Nous ne savons pas ce que Trump fera, nous vivons dans l'attente. C'est terrible de n'avoir aucun contrôle sur son avenir.»

Le maire en renfort

Les «Dreamers» de New York et leurs parents peuvent au moins se consoler en se disant qu'ils jouissent de l'appui de leur maire. Comme d'autres élus démocrates de grandes villes américaines, dont Los Angeles, Chicago et Boston, Bill de Blasio a promis de ne pas coopérer avec les agents de l'immigration qui voudraient expulser des clandestins. Promesse qui a valu à New York et aux autres villes dites «sanctuaires» d'être menacées par Trump de ne plus recevoir de subventions fédérales.

Mais le maire de New York n'a pas bronché face à cette menace qui pourrait coûter à sa ville 7 milliards de dollars par an. «Nous n'allons pas sacrifier un demi-million de personnes qui vivent parmi nous. Nous ferons tout ce que nous pouvons pour résister», a-t-il dit.

Le gouffre entre la ville de Bill de Blasio et le pays de Donald Trump est énorme. Mais le discours du président désigné sur l'immigration illégale n'est pas universellement désapprouvé à New York.

«Les gens disent, bah, Trump ne fera rien», dit Pamela Benitez, l'étudiante de Hunter College. « Mais ce n'est pas seulement ce qu'il peut faire, c'est aussi ce que les gens ordinaires peuvent faire à cause de notre look, à cause de notre façon de parler. J'ai la chance d'avoir la peau pâle. Mais mon père et ma soeur ont la peau foncée. Cela les met en danger. Même à New York, nous avons peur.»