Bien avant que Donald Trump ne confirme ses ambitions présidentielles, Martin Zisser et sa soeur Barbara ne rataient jamais l'occasion d'agrémenter l'une de leurs visites régulières à Manhattan d'un arrêt à la tour de verre cuivré qui porte le nom du magnat de l'immobilier sur la 5e Avenue.

Selon les mots de Martin, « la richesse, l'élégance et l'atmosphère » des lieux les changeaient du décor tristounet de l'appartement qu'ils partagent dans un HLM de Canarsie, quartier de Brooklyn inconnu des hipsters. Mais l'élection du 8 novembre a conféré au gratte-ciel un attrait encore plus irrésistible à leurs yeux.

« Le président des États-Unis est propriétaire de cet édifice. Cela me procure un sentiment d'excitation. J'avais besoin de cette sensation aujourd'hui », dit Barbara en mangeant une pointe de pizza à l'étage inférieur de l'atrium en marbre de la tour, où les touristes, après avoir soumis leurs sacs à un contrôle, peuvent encore fréquenter les restaurants Trump et magasiner dans les boutiques Trump, dont l'une vend une eau de toilette baptisée « Success » et signée par Trump.

Coiffés d'une casquette rouge ornée du slogan électoral du tombeur d'Hillary Clinton - « Rendre sa grandeur à l'Amérique » -, Martin et Barbara Zisser, âgés respectivement de 74 et 68 ans, sont attablés près de l'escalier roulant par lequel le président désigné est descendu le 16 juin 2015 pour annoncer aux journalistes sa décision de briguer la Maison-Blanche.

Autour d'eux, plusieurs hommes en complet bleu, écouteurs vissés à l'oreille, cassent aussi la croûte. Ce sont des agents des services secrets, qui veillent à la sécurité de Donald Trump et des membres de son entourage. Aux étages supérieurs, ceux-ci reçoivent les candidats pressentis pour divers postes au sein de la prochaine administration républicaine.

UN ASCENSEUR ET DES CANDIDATS

Dans le hall d'entrée, des photographes, caméramans et journalistes guettent l'arrivée de ces candidats derrière des cordons en velours. Ils font face aux portes dorées des ascenseurs qui mènent les appelés au bureau ou au penthouse de Trump. Vendredi, ils ont interpellé l'un d'eux, Mike Huckabee, ancien gouverneur de l'Arkansas et candidat à l'investiture républicaine.

« Gouverneur Huckabee, est-ce vrai que le président désigné entend vous offrir le poste d'ambassadeur des États-Unis en Israël ? », a lancé une journaliste.

L'ancien pasteur baptiste s'est contenté d'esquisser un sourire avant de s'engouffrer dans la cage de l'ascenseur. Plus tard, il a indiqué qu'il n'était « pas la bonne personne » pour le poste qui lui avait été proposé.

Tous les visiteurs de la Tour Trump ne sont pas des admirateurs ou des suppliants du président désigné, tant s'en faut.

« Ses choix, jusqu'à présent, sont horribles », dit Nancy Gold, une infirmière retraitée du Massachusetts, en s'indignant notamment de la nomination du sénateur de l'Alabama Jeff Sessions au poste de ministre de la Justice.

N'empêche, elle voulait « voir ce qui se passe » dans la Tour Trump, devenue le plus grand centre d'attraction politique depuis le 8 novembre et où le 45e président pourrait continuer à passer ses week-ends. Mais elle a abandonné l'idée de distribuer aux partisans de Trump une version sarcastique du fameux poème d'Emma Lazarus gravé sur le socle de la statue de la Liberté.

« Mon neveu m'a fait comprendre que ce n'était pas une bonne idée. Il était à New York la semaine dernière et un partisan de Trump lui a asséné un coup de poing au visage sans crier gare », raconte-t-elle.

DEHORS, LA HAINE

À l'extérieur de la Tour Trump, des barrières métalliques renforcées par des murets de béton ont réduit de cinq à trois les voies ouvertes à la circulation sur la 5e Avenue. Les touristes et les manifestants se rassemblent sur le trottoir opposé. Les uns prennent des égoportraits, les autres brandissent des affiches.

« La rage triomphe de la haine », pouvait-on lire sur celle de Tom Leclair, qui a tourné le dos au slogan de Clinton selon lequel « l'amour triomphe de la haine » (Love Trumps Hate).

« Je ne crois pas que l'amour va créer le mouvement politique qui sera nécessaire pour résister à notre démagogue en chef », dit ce professeur de littérature à la retraite.

« Je pense que nous avons besoin de rage pour lutter contre son racisme et tous les autres maux qui nous affligent à cause de l'élection de Trump. » - Tom Leclair, professeur de littérature à la retraite

Martin Zisser se situe aux antipodes de cette rage. Dans l'atrium de la Tour Trump, ce partisan du président désigné rêve. Il rêve de vendre à une maison d'édition le manuscrit d'un roman qu'il a écrit dans son humble appartement de Canarsie.

« C'est l'histoire de trois familles en Allemagne, happées par l'Holocauste, raconte-t-il. Ça explique comment c'est arrivé et pourquoi une grande nation comme l'Allemagne a suivi Adolf Hitler. Parce que les Allemands étaient pauvres. Ils avaient besoin de quelque chose d'excitant.

- Ma foi, certains pourraient voir un lien entre votre histoire et l'élection de Trump.

- Il n'y a aucun lien. Hitler était un maniaque. Un génie, mais un maniaque inspiré par la haine. Donald Trump ne veut faire de mal à personne. »

Photo Sam Hodgson, The New York Times

Depuis quelques jours, plusieurs photographes, caméramans et journalistes guettent le va-et-vient dans l'ascenseur aux portes dorées qui mène les candidats pressentis pour divers postes au sein de la prochaine administration Trump vers les étages supérieurs.

PHOTO DON EMMERT, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Depuis le 8 novembre, la Tour Trump, située sur la 5e Avenue, est devenue le plus grand centre d'attraction politique aux États-Unis et l'endroit où le 45e président désigné reçoit les candidats pressentis pour divers postes au sein de la prochaine administration républicaine.