Le président américain Barack Obama a opposé vendredi son veto à une loi qui autoriserait les proches des victimes du 11-Septembre à poursuivre l'Arabie saoudite, engageant sur ce dossier sensible un bras de fer périlleux avec le Congrès.

La Maison-Blanche estime que cette loi affaiblirait le principe d'immunité qui protège les États (et leurs diplomates) de poursuites judiciaires et risque, par un effet boomerang, d'exposer les États-Unis à des poursuites devant divers tribunaux à travers le monde.

Mais les défenseurs du texte, baptisé «Justice Against Sponsors of Terrorism Act», insistent sur la nécessité pour les victimes des attentats du 11-Septembre de pouvoir réclamer justice et affirment que l'opposition de l'administration Obama est avant tout liée à la crainte de provoquer la colère de Riyad.

«Les familles (des victimes) sont scandalisées et très déçues» par la décision de M. Obama, a déclaré à l'AFP Terry Strada, dont le mari, Tom, a été tué dans le World Trade Center où il travaillait.

Le candidat républicain Donald Trump, qui répète à l'envi que le président démocrate et sa rivale démocrate Hillary Clinton manquent de poigne dans la lutte contre le terrorisme, a immédiatement dénoncé cette décision.

«Que le président Obama puisse empêcher les parents, les épouses et les enfants de ceux que nous avons perdus [...] de refermer ce douloureux chapitre de leurs vies est une honte», a-t-il affirmé.

Si les deux tiers des élus du Congrès se rassemblent derrière le texte, ils pourront surmonter le veto présidentiel et la loi entrera en vigueur, ce qui représenterait un cinglant camouflet pour Barack Obama à quelques mois de son départ.

L'exécutif américain est à la manoeuvre sur Capitol Hill, en particulier auprès des représentants démocrates, pour s'assurer que le cap fatidique ne soit pas atteint.

Il dénonce les petits calculs politiques des élus qui expriment «en privé» des réserves, mais votent pour le texte, les yeux rivés sur les élections du 8 novembre (scrutin présidentiel, mais aussi renouvellement d'une partie du Congrès).

«Rendre des comptes»

Chuck Schumer, sénateur démocrate de New York où la loi a évidemment une résonance particulière, a immédiatement regretté une décision «décevante», prédisant qu'elle serait rapidement rejetée par le Congrès.

«Si les Saoudiens n'ont rien fait de mal, ils ne devraient pas craindre cette loi. S'ils sont coupables dans les attentats du 11-Septembre, ils devraient rendre des comptes», a-t-il estimé. «Les familles des victimes méritent que la justice passe et la justice pour ces familles ne devrait pas être jetée aux orties pour des raisons diplomatiques».

Hillary Clinton, qui espère bien l'emporter haut la main face au républicain Donald Trump dans l'État de New York dont elle fut sénatrice, a fait savoir par son équipe qu'elle signerait cette loi si elle était présidente.

Le texte a suscité une levée des boucliers dans les monarchies du Golfe qui ont mis en garde contre «un grave précédent». Ces dernières entretiennent des relations déjà tendues avec l'administration Obama à qui elles reprochent, entre autres, d'avoir réintégré l'Iran, grand rival chiite, dans le jeu diplomatique.

Quinze des 19 auteurs des attentats du 11-Septembre étaient des Saoudiens, mais l'implication de l'Arabie saoudite, alliée des États-Unis, n'a jamais été démontrée.

En coulisses, Riyad s'active pour empêcher le passage de cette loi. Il y a plusieurs mois, un haut responsable saoudien a menacé de représailles si le texte était adopté, évoquant la vente de centaines de milliards de dollars en bons du Trésor et autres actifs américains.

La Maison-Blanche assure que son inquiétude ne se limite pas à l'impact que cela pourrait avoir sur sa relation avec la monarchie sunnite «mais avec tous les pays du monde». Et met en avant les inquiétudes d'autres alliés.

Dans un courrier adressé au département d'État, l'Union européenne a ainsi rappelé que l'immunité des États était «un pilier central du droit international», et a mis en garde contre toute dérogation à ce principe qui pourrait pousser d'autres pays à s'engouffrer dans la brèche.

Dans une lettre adressée aux élus, plusieurs anciens hauts responsables américains des deux bords, parmi lesquels l'ancien ministre de la Défense William Cohen et l'ancien patron de la CIA Michael Morell, soulignent par ailleurs combien une telle loi pourrait placer les États-Unis dans une position délicate.

«Nos soldats, nos diplomates et tous les employés du gouvernement américain travaillant à l'étranger pourraient se retrouver visés par des poursuites judiciaires dans d'autres pays», écrivent-ils.