La Cour suprême des États-Unis a réaffirmé lundi avec force le droit des femmes à se faire avorter, une question passionnelle qui déchire le pays en pleine année électorale.

Cette décision majeure, arrachée à la majorité de cinq juges contre trois, est une victoire retentissante pour des millions de femmes et tous les défenseurs de l'interruption volontaire de grossesse (IVG).

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Elle a déclenché des scènes de liesse chez des centaines de militantes rassemblées à l'extérieur de l'édifice aux colonnes de marbre, sur la colline du Capitole à Washington.

« L'ambiance est électrique », confiait Nita Amar, une infirmière de 63 ans.

« On ne peut revenir au temps des avortements clandestins, effectués avec la tige métallique d'un portemanteau », assurait-elle.

Barack Obama a lui confié dans un communiqué sa « satisfaction ». « Chaque femme jouit d'un droit constitutionnel à faire ses propres choix en matière de procréation », a écrit le président américain.

Désarroi des « Pro vie »

L'arrêt de la haute cour représente au contraire un revers cinglant pour les « Pro vie », les puissants opposants à l'IVG en Amérique, qui ont imposé de multiples restrictions à l'avortement dans de nombreux États conservateurs du pays.

Devant la Cour, Jonathan et Sarah Manning, âgés de 25 ans tous les deux et mariés, accusaient le coup.

« Je suis atterrée. Je viens de pleurer. Combien de personnes supplémentaires vont mourir en raison de ce jugement ? », s'interrogeait la jeune femme.

Un désarroi partagé par Bobby Carper, 41 ans et arborant un collier affichant « Mom » (« maman ») au milieu d'un coeur.

« Je suis profondément déçue », confiait-elle. « J'ai constaté le chagrin et la douleur que provoquent les avortements ».

En l'espèce, la Cour suprême a jugé illégale une loi de 2013 au Texas qui impose aux cliniques pratiquant des avortements de posséder un plateau chirurgical digne d'un milieu hospitalier.

La loi oblige par ailleurs les médecins-avorteurs à disposer d'un droit d'admission de leurs patientes dans un hôpital local.

Les rédacteurs de ce texte le justifient au nom de la santé des femmes, affirmant oeuvrer à minimiser les risques sanitaires.

Mais pour les partisans de l'IVG, il s'agit d'un prétexte, le véritable objectif poursuivi par les législateurs républicains locaux s'inscrivant dans quatre décennies d'assauts répétés contre « Roe v. Wade », décision historique de la Cour suprême qui a légalisé l'avortement en 1973 aux États-Unis.

De fait, ces règles draconiennes ont forcé la fermeture en deux ans de dizaines de centres d'IVG au Texas.

« Nous estimons », a déclaré le juge progressiste Stephen Breyer en lisant l'arrêt, « qu'aucune de ces mesures n'offre des avantages médicaux suffisants pour justifier le fardeau qu'elles imposent ».

« Chacune (de ces mesures) dresse un obstacle superflu sur la voie d'accès à l'avortement, et chacune viole la Constitution fédérale », a-t-il poursuivi.

Pays divisé sur l'IVG

De fait, la décision rendue lundi par le Temple du droit américain dépasse très largement les frontières texanes, car se faire avorter aux États-Unis est de plus en plus compliqué pour des millions de femmes.

Cela est vrai en particulier dans les États conservateurs du sud comme le Texas.

La décision de lundi « est une victoire pour les femmes du Texas et de toute l'Amérique. L'avortement en sécurité doit être un droit pas seulement sur le papier, mais en réalité », a commenté la candidate démocrate à la présidentielle, Hillary Clinton.

Les quatre juges progressistes de la haute cour - dont Stephen Breyer - ont logiquement voté contre la loi texane, rejoint par le juge conservateur modéré Anthony Kennedy.

La Cour suprême siège à huit sages au lieu de neuf depuis le décès en février du magistrat conservateur Antonin Scalia.

Seulement une courte majorité (56 %) des Américains estiment que l'interruption volontaire de grossesse devrait être permise dans la majorité ou la totalité des cas, selon une étude récente de l'institut Pew.

Ils sont 41 % à penser le contraire, avec des pics chez les électeurs républicains conservateurs (68 %) et les chrétiens évangéliques blancs (69 %).

Ce débat passionnel ne s'est jamais apaisé aux États-Unis, contrairement à d'autres pays développés.

En témoigne la récente indignation provoquée par Donald Trump, selon qui les femmes se faisant avorter devraient encourir « une forme de punition ». Le milliardaire s'est immédiatement rétracté.

Fin novembre, un opposant à l'avortement a lui abattu trois personnes dans un centre de planification familiale du Colorado.