Se faire avorter aux États-Unis est en théorie légal, mais, dans les faits, de plus en plus compliqué pour des millions de femmes qui espèrent un rappel à l'ordre solennel de la Cour suprême.

La plus haute instance judiciaire du pays va rendre d'ici fin juin un arrêt crucial sur cette question qui continue de déchirer les Américains. Ceci, dans un climat électoral électrisé par des déclarations à l'emporte-pièce de Donald Trump sur le sujet.

La décision à venir concerne le Texas, mais pourrait refaçonner toute la pratique de l'interruption volontaire de grossesse en Amérique.

En effet, alors que les obstacles à l'IVG se multiplient dans des dizaines d'États, les huit sages de la Cour suprême donneront soit un coup d'arrêt, soit un signal d'encouragement à cette tendance.

Seulement une courte majorité (56 %) des Américains estiment que l'interruption volontaire de grossesse devrait être permise dans la majorité ou la totalité des cas, selon une étude récente de l'institut Pew.

Ils sont 41 % à penser le contraire, avec des pics chez les électeurs républicains conservateurs (68 %) et les chrétiens évangéliques blancs (69 %).

Ce débat passionnel ne s'est jamais apaisé aux États-Unis, contrairement à d'autres pays développés.

En témoigne la récente indignation provoquée par Donald Trump, selon qui les femmes se faisant avorter devraient encourir «une forme de punition». Le milliardaire s'est immédiatement rétracté.

Fin novembre, un opposant à l'avortement a lui abattu trois personnes dans un centre de planification familial du Colorado.

«Pro-vie» fortifiés

«Roe v. Wade», jugement historique qui a légalisé l'avortement en 1973 aux États-Unis, a constamment fait l'objet d'assauts répétés de la part des «pro-vie». Ils s'opposent aux «pro-choix», partisans du droit des femmes à choisir leur contraception et un éventuel avortement encadré par la loi.

Mais, selon le Guttmacher Institute, organisme de recherche favorable à l'IVG dont les études font référence, ces cinq dernières années concentrent 27 % des quelque 1000 restrictions à l'avortement enregistrées en quatre décennies.

Depuis 2010, les conservateurs ont en effet été confortés par la reconquête électorale de nombreux États par les républicains. Le pays est devenu «pro-vie» affirment-ils parfois, en rêvant de renverser «Roe v. Wade».

Ces restrictions au droit à l'avortement prennent de multiples formes: interdiction des méthodes médicales les plus courantes, délais d'attente rallongés imposés aux femmes, réduction draconienne de la période autorisée pour une IVG, complications administratives visant les médecins avorteurs, pressions psychologiques émanant de pseudo centres d'avortement, octroi de la personnalité juridique à un foetus dès sa conception, etc.

Résultat, au moins 57 % des femmes en âge de procréer vivent aujourd'hui dans un État considéré hostile à l'avortement, assure le Guttmacher Institute.

«Plus récemment, les opposants à l'avortement ont présenté au niveau des États des propositions de loi qui prétendent défendre le droit des femmes», explique à l'AFP Sital Kalantry, professeure de droit à l'université Cornell.

C'est le cas au Texas, où une loi de 2013 impose aux cliniques pratiquant des avortements de posséder un plateau chirurgical digne d'un milieu hospitalier.

Ce texte, soi-disant au nom de la santé des femmes, oblige par ailleurs les médecins avorteurs à disposer d'un droit d'admission de leurs patientes dans un hôpital local.

«Désert de l'IVG»

Ces exigences ont causé la fermeture de plus de la moitié des centres d'IVG texans, dénoncent des associations.

«Il semble bien que la première stratégie politique des militants anti-avortement est d'accabler les centres d'IVG à un point tel qu'ils soient dans leur majorité, voire leur totalité, contraints de fermer leurs portes», analyse Michael Dell, un avocat spécialisé.

On commence d'ailleurs à évoquer un «désert de l'avortement» dans le grand Sud américain, de la Floride au Nouveau-Mexique, ainsi que dans le Midwest: des femmes témoignent devoir faire des centaines de kilomètres pour une IVG.

Encore faut-il avoir le temps et les moyens financiers de le faire. Certains redoutent un essor des auto-avortements ou des interventions clandestines.

«Il n'existe pas d'étude concluant que cette série de nouvelles restrictions conduit un nombre croissant de femmes vers des moyens risqués d'avortement», souligne à l'AFP Sarah Roberts, de l'Université de Californie à San Francisco.

Mais, poursuit-elle, «les femmes dans l'impossibilité de se faire avorter subissent davantage de violences, risquent davantage de sombrer dans la pauvreté et endurent davantage de conséquences physiques sur leur santé que les femmes qui se font avorter».