Difficile de minimiser la fierté que Barack Obama a éprouvée hier en devenant le premier président américain en exercice à fouler le sol cubain depuis 1928. Ou celle qu'il connaîtra demain en prononçant un discours dans un grand théâtre de La Havane, devant les caméras de la télévision cubaine.

L'ouverture vers Cuba fait partie des réalisations qui marqueront le bilan de la présidence d'Obama au chapitre de la politique étrangère avec l'accord de Paris sur le climat, le Partenariat transpacifique et l'entente sur le nucléaire iranien. Elle n'est pas seulement susceptible d'améliorer les relations entre les États-Unis et l'île communiste, mais également l'image de l'Oncle Sam dans le reste de l'Amérique latine.

Mais la fierté de Barack Obama à Cuba sera-t-elle comparable à celle qu'il a éprouvée à Washington le 30 août 2013 ? Ce jour-là, le président américain a surpris tout le monde, y compris ses conseillers et ses alliés. Après avoir menacé le régime de Bachar al-Assad de représailles pour le massacre de la Ghouta - le bombardement au gaz sarin ayant tué 1429 civils syriens 10 jours plus tôt -, il a annoncé qu'il ne donnera pas le feu vert à une réplique militaire.

Les critiques de Barack Obama voient dans cette volte-face un moment où la crédibilité des États-Unis a été minée comme rarement elle l'a été par un président. Même son ancienne secrétaire d'État Hillary Clinton n'en revenait pas à l'époque.

Et que dit aujourd'hui Barack Obama au sujet de cette décision qui pourrait symboliser sa politique étrangère encore davantage que son ouverture vers Cuba ?

«Je suis très fier de ce moment», dit-il en se félicitant d'avoir évité à son pays un autre engrenage militaire. «Il y avait tout le poids des idées reçues, toute la machine de notre administration de sécurité nationale. Pour tout le monde, ma crédibilité était en jeu, la crédibilité de l'Amérique était en jeu. Et donc je savais que je paierais un prix politique en appuyant sur pause. Et le fait que j'ai été capable de me sortir de ces pressions du moment et de repenser à ce qui était dans l'intérêt de l'Amérique [...] était l'une des décisions les plus difficiles que j'ai eues à prendre. Et je crois qu'au bout du compte, c'était la bonne décision.»

Cette déclaration de Barack Obama ainsi que celle d'Hillary Clinton, se trouvent dans un article-fleuve - plus de 20 000 mots ! - publié dans le numéro courant de la revue The Atlantic sous la signature de Jeffrey Goldberg. Après une série d'entretiens avec le président et ses principaux conseillers, le journaliste y décrit le monde à travers les yeux de l'occupant de la Maison-Blanche. Le résultat est fascinant, qu'on soit d'accord ou non avec la vision du président.

Ce qui frappe d'abord, c'est le fatalisme de Barack Obama à l'égard du Moyen-Orient. Selon lui, il n'y a pas grand-chose qu'un président américain puisse faire pour améliorer la situation dans cette région. De toute façon, le Moyen-Orient n'est plus aussi crucial qu'il l'a déjà été pour les intérêts des États-Unis, à son avis. D'où son refus de s'alarmer de l'intervention de la Russie de Poutine en Syrie. Il croit que le président américain doit craindre davantage le réchauffement climatique que le groupe État islamique, et tourner son attention vers l'Asie, l'Afrique et l'Amérique latine.

Autre constat : Barack Obama cache mal son mépris pour les experts des groupes de réflexion qui, selon lui, défendent à Washington les intérêts de leurs bailleurs de fonds arabes ou pro-israéliens. Des experts qui mesureraient la crédibilité des États-Unis à sa seule capacité à larguer des bombes.

Il faut aussi conclure, à la lecture de l'article de Jeffrey Goldberg, que l'autocritique n'est pas le fort de Barack Obama. On comprend sa frustration à l'égard de certains alliés de son pays, dont le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou et les dirigeants saoudiens. Ces derniers, selon lui, veulent entraîner les États-Unis dans leurs «guerres tribales» après avoir contribué à «wahhabiser» l'islam.

Mais on s'étonne qu'il fasse porter à Nicolas Sarkozy et David Cameron la plus grande part du blâme pour le fiasco libyen. «Lorsque je me demande pourquoi cela a mal tourné, je réalise que j'étais convaincu que les Européens - étant donné la proximité de la Libye - seraient plus impliqués dans le suivi», dit-il.

Barack Obama voue cependant une grande admiration à la chancelière allemande Angela Merkel et a une affection particulière pour le premier ministre canadien Justin Trudeau, auprès duquel il joue «activement» le rôle de mentor, le voyant comme son «jeune frère», selon Jeffrey Goldberg.

Les Canadiens doivent-ils s'en réjouir ?