La Cour suprême est apparue profondément divisée mercredi sur la question de l'avortement, l'un des sujets de société qui déchire le plus les Etats-Unis et resurgi dans un contexte électoral tendu marqué par un bras de fer entre le Sénat à majorité républicaine et la Maison-Blanche.

Les juges de la haute cour ont avancé des arguments frontalement opposés quand ils ont examiné pendant 90 minutes la légalité des restrictions d'un nombre croissant d'Etats américains au droit à l'IVG, notamment le Texas. Leur décision est attendue au plus tard fin juin.

Mais la Cour ne fonctionne qu'à huit juges (quatre conservateurs et quatre progressistes) depuis la mort mi-février du juge conservateur Antonin Scalia. Du coup, tous les regards se portent vers Anthony Kennedy, conservateur modéré qui fait office d'arbitre dans cette affaire.

Les sages, qui comptent trois femmes dans leurs rangs, examinent une loi texane de 2013 qui impose aux cliniques pratiquant des avortements de posséder un plateau chirurgical digne d'un établissement hospitalier et qui oblige les médecins à disposer d'un droit d'admission de leurs patientes dans un hôpital local. Ceci au nom de la santé des femmes, pour minimiser les risques sanitaires, justifient ses rédacteurs.

Mais pour les défenseurs de l'IVG, il s'agit d'un faux prétexte, le véritable objectif des législateurs républicains texans s'inscrivant dans quatre décennies d'assauts contre «Roe v. Wade», décision historique qui a légalisé l'avortement en 1973 aux Etats-Unis.

75% de ces cliniques ont dû fermer au Texas depuis deux ans, selon l'organisation Whole Woman's Health.

Nouveau-Mexique contre Texas

Lors de l'audience mercredi, les trois juges femmes ont assailli de questions Scott Keller, avocat représentant le Texas.

La juge Elena Kagan a noté que le nombre de femmes vivant loin de ces cliniques allait fortement augmenter, de 10 000 à 250 000, si ces restrictions étaient validées.

Sa collègue Ruth Ginsburg a relevé que l'État voisin du Nouveau-Mexique n'imposait pas les mêmes restrictions.

Alors «pourquoi ce serait bien pour les femmes au Nouveau-Mexique (d'avoir accès à des cliniques sans plateau chirurgical adapté, NDLR) et pas bien pour les femmes au Texas?», a-t-elle interrogé.

M. Keller a soutenu que les plateaux chirurgicaux étaient nécessaires pour protéger les femmes de complications. Mme Ginsburg lui rétorquant que les problèmes survenaient souvent longtemps après le retour des femmes chez elles.

De son côté, Anthony Kennedy a estimé que les intérêts du Texas devraient être examinés au regard de l'impact des restrictions sur les femmes.

Mais il a noté, comme le juge conservateur Samuel Alito, un lien ténu entre la loi et la fermeture des cliniques, suggérant de renvoyer l'affaire à la juridiction inférieure pour un examen approfondi.

«Tous nos espoirs se portent sur Kennedy», a affirmé Farah Diaz-Tello, une Texane de 34 ans, arrivée devant la Cour à 1 heure du matin dans l'espoir d'assister aux débats et défendant «le droit des femmes à disposer de leur corps».

Mais Julia Haag, la cinquantaine, ne cachait pas son opposition à ces cliniques qui, selon elle, «commettent un génocide».

Des centaines de manifestants pro ou anti IVG ont clamé leurs arguments devant l'imposant bâtiment de la Cour suprême, face au Capitole à Washington.

«Pro-vie, pro-femmes», ont scandé des étudiants opposés à l'avortement en tenant des ballons bleus. «Droits à la reproduction», leur ont répondu des partisans de l'IVG coiffés de bonnets violets en leur tournant ostensiblement le dos.

La question déclenche d'autant plus les passions que les États-Unis sont en campagne présidentielle.

Des partisans de l'avortement arboraient des tee-shirts en faveur de la démocrate Hillary Clinton, tandis que son rival Bernie Sanders a demandé sur Twitter à la Cour de «réaffirmer que l'accès des femmes à l'avortement est un droit constitutionnel». Paul Ryan, président républicain de la Chambre des représentants, est venu soutenir les anti avortement.

L'institut de recherche Texas Policy Evaluation Project a récemment affirmé que la loi du Texas avait entraîné l'allongement des délais d'attente, des surcoûts, voire l'impossibilité pour certaines femmes de trouver une clinique.

Cette audience intervenait aussi dans un contexte de crise entre le Sénat et la Maison-Blanche pour remplacer Antonin Scalia.

Les républicains ont promis de torpiller toute nomination que ferait Barack Obama, affirmant que cette désignation ultra-sensible doit revenir à son successeur, qui sera investi le 20 janvier 2017.

En cas d'égalité, le jugement de la juridiction inférieure resterait inchangé, et les restrictions adoptées seraient de facto validées.