Parce qu'il est né au Canada d'une mère américaine et d'un père cubain, le sénateur du Texas Ted Cruz est-il éligible à la fonction de président des États-Unis? C'est la question que son principal rival à l'investiture républicaine, Donald Trump, a lancée dans l'arène et qu'un avocat du Texas a transformée en poursuite judiciaire vendredi. Déjà, parmi les experts constitutionnels, le débat fait rage. Duel entre deux écoles de droit.

ÉLIGIBLE

Pour Noah Feldman, expert de droit constitutionnel à l'Université Harvard, l'éligibilité de Ted Cruz ne fait pas de doute. «Il est éligible et ce serait vraiment surprenant qu'une cour dise le contraire, dit le professeur et auteur. La Constitution dit qu'il doit être citoyen de naissance. Il est né d'une mère américaine. C'était assez pour qu'il ait la citoyenneté américaine à la naissance.» Joint par La Presse à Cambridge, au Massachusetts, Noah Feldman ajoute que le premier Congrès américain a adopté une loi en 1790, soit tout juste deux ans après la ratification de la Constitution, stipulant qu'une personne née de parents américains à l'extérieur des États-Unis est un «citoyen de naissance». «Le Congrès américain a toujours défini ainsi le terme "citoyen de naissance"», insiste M. Feldman.

Professeur à l'Université de Montréal, Matthew Harrington abonde dans le même sens. «Citoyen de naissance», dit-il, est l'antonyme de «citoyen naturalisé». «Vous êtes citoyen de naissance si vous n'avez jamais eu à être naturalisé», dit-il. Or, Ted Cruz n'a jamais eu à demander sa citoyenneté, l'ayant reçue instantanément lorsqu'il est né dans un hôpital de Calgary, la ville où son père travaillait pour l'industrie pétrolière à l'époque. Les deux professeurs de droit notent aussi que Ted Cruz n'est pas le premier aspirant à la Maison-Blanche à être né hors du pays. Candidat à la présidence en 2008, John McCain a vu le jour sur une base militaire américaine du canal de Panama. Barry Goldwater, qui s'est mesuré à Lyndon B. Johnson en 1964, est né en Arizona avant que le territoire ne fasse partie des États-Unis. Pour sa part, George Romney, père de Mitt Romney, est né au Mexique, dans une communauté de mormons. Aucun d'entre eux n'a été jugé inéligible lorsqu'ils ont brigué la présidence pour le Parti républicain.

EXCLUS

Ironiquement, c'est du camp conservateur qu'émanent les plus grands doutes touchant l'éligibilité de Ted Cruz, enfant chéri du Tea Party. C'est dans ce camp qu'on retrouve les «originalistes», qui croient que la Constitution doit être interprétée selon l'intention de ceux qui l'ont rédigée au XVIIIe siècle.

Dans un article publié dans le Washington Post, Mary Brigid McManamon, de la faculté de droit de l'Université du Delaware, note que James Madison, le père de la Constitution lui-même, avait défini le terme «citoyen de naissance». «C'est une maxime établie que la naissance est un critère d'allégeance [...et] que l'endroit [de la naissance] est le critère le plus certain; voici ce qui s'applique aux États-Unis», a dit le théoricien politique et quatrième président du pays de l'Oncle Sam. «Cruz est bien sûr citoyen américain. Mais puisqu'il est né au Canada, il n'est pas citoyen de naissance. Sa mère, cependant, est une Américaine et le Congrès a reconnu par voix législative la naturalisation des enfants nés à l'étranger», écrit Mme McManamon.

Sommité en droit constitutionnel qui a enseigné à Ted Cruz et à Barack Obama, Laurence Tribe, connu pour ses idées libérales, a souligné le ridicule de la situation dans laquelle se retrouve son ancien étudiant. «Chacun peut avoir son opinion sur ce que la définition de "citoyen de naissance" devrait être, mais le genre de juge que Cruz dit admirer et qu'il nommerait à la Cour suprême [s'il était président] est un originaliste, quelqu'un qui se dit lié au sens historique étroit des termes de la Constitution au moment de son adoption. Pour ce genre de juge, Cruz ne serait ironiquement pas éligible parce que les principes légaux qui prévalaient de 1780 à 1790 requéraient que quelqu'un soit né sur le sol américain pour être citoyen de naissance. Même avoir deux parents américains ne suffirait pas. Et avoir juste une mère américaine, comme dans le cas de Cruz, aurait été insuffisant à l'époque où la lignée patrilinéaire était décisive».

Qui peut devenir président des États-Unis?

Ne devient pas président qui veut. Selon la Constitution des États-Unis ratifiée en 1788, pour devenir le locataire de la Maison-Blanche, un individu doit avoir au moins 35 ans, avoir résidé aux États-Unis pendant au moins 14 ans et être «citoyen de naissance» (natural-born citizen). C'est ce dernier concept qui est au coeur des discussions.