La police a appelé lundi à rentrer chez eux les dizaines de miliciens armés, essentiellement des fermiers et éleveurs, qui occupent depuis samedi un parc naturel de l'Oregon, au nord-ouest du pays.

Une douzaine de manifestants, beaucoup en chapeaux de cowboys traditionnels des éleveurs américains, accompagnés d'une dizaine de femmes et enfants, défiaient encore les autorités au siège du Malheur Wildlife Refuge, a constaté un photographe de l'AFP.

Ces miliciens antigouvernementaux, dont beaucoup sont originaires d'États voisins, battaient le pavé en faveur de Dwight Hammond, 73 ans, et de son fils Steven, 46 ans, deux éleveurs locaux condamnés à cinq ans de prison pour avoir mis le feu à des terres fédérales.

Les manifestants assurent que tous deux ont fait l'objet de harcèlement de la part des autorités après avoir refusé de vendre leurs terres.

Les Hammond se sont présentés lundi dans l'établissement pénitentiaire où ils doivent purger leur peine.

«Les Hammond se sont rendus: il est temps pour vous de quitter notre communauté. Rentrez chez vous, dans vos propres familles et finissez cela pacifiquement», a enjoint Dave Ward, shérif du comté de Harney, une région rurale et agricole de l'ouest américain.

Il a déploré qu'une «manifestation pacifique se soit transformée en (occupation) armée et illégale».

Les protestataires, un groupe disparate d'exploitants agricoles et d'éleveurs qui s'est donné pour appellation «Les Citoyens pour la liberté constitutionnelle», affirment porter des armes pour exprimer leur droit constitutionnel à le faire.

Ils sont menés par Ammon Bundy, qui a promis que leurs intentions étaient pacifiques, tout en avertissant que son groupe était prêt à maintenir le siège pendant «des années», jusqu'à ce que le gouvernement rende les terres aux exploitants locaux.

Les manifestants se sont aussi dits prêts à répliquer en cas d'intervention armée de la police pour les déloger.

Ammon Bundy et son frère Ryan sont les fils de Cliven Bundy, un agriculteur pro-armes du Nevada voisin qui avait affronté la police en 2014.

Les Hammond se sont distancés des Bundy.

«Dwight et Steven Hammond respectent la loi» et l'ont fait tout au long de leur bataille de cinq ans devant les tribunaux», ont fait valoir leurs avocats dans un communiqué reçu par l'AFP.

PHOTO REBECCA BOONE, AP

Ryan Bundy parle au téléphone, au parc du Malheur National Wildlife Refuge, le 3 janvier.

«Terroristes»

Ils en appellent aussi «à la clémence» du président américain: «Nous espérons que le président Obama sera d'accord avec nous et avec un juge qui a supervisé leur procès, pour dire qu'une peine minimale de 5 ans est trop élevée».

L'Association des éleveurs d'Oregon (OCA) a également marqué sa désapprobation face à l'occupation du parc Malheur.

«L'OCA soutient les Hammond» et «n'est pas d'accord avec leur nouvelle condamnation» mais «ne souscrit pas aux actes illégaux contre le gouvernement. Cela inclut la prise par des miliciens de propriétés gouvernementales, comme le Malheur Wildlife Refuge», note l'organisation dans un communiqué.

Plusieurs médias américains critiquaient les méthodes des occupants du parc Malheur, les comparant à des «terroristes», à l'instar de CNN ou du Washington Post.

Sur les réseaux sociaux, certains prenaient parti pour eux, d'autres leur accolaient les sobriquets, «Y'all Qaïda» ou «Vanilla ISIS», détournant le vocabulaire djihadiste.

Les Hammond ont été condamnés en 2012 pour avoir mis le feu en 2001 et 2006 à des terres fédérales sur lesquelles ils détenaient des droits de pâture pour leur bétail.

Un juge a ordonné qu'ils retournent derrière les barreaux après qu'ils eurent déjà fait de la prison pour incendie, estimant trop clémente leur première condamnation.

La police ne donnait quant à elle toujours pas de signe d'intervention.

«Nous travaillons avec le shérif du comté de Harney pour trouver une issue pacifique», s'est contenté d'indiquer le FBI sur Twitter.

Après une manifestation qui avait rassemblé samedi environ 300 personnes à Burns, un groupe s'était rendu dans le parc fédéral, situé à 80 kilomètres de la ville de 2800 âmes, où vivent entre autres animaux des chevaux sauvages et des antilopes d'Amérique.

Les écoles des alentours ont été fermées pour la semaine et le tribunal du comté a annoncé sa fermeture «pour des raisons de sécurité».

Il s'agit du dernier incident en date opposant des exploitants agricoles de l'ouest américain au gouvernement fédéral, que les premiers accusent de mauvaise gestion des terres.

Des milices anti-Washington

Ces dizaines d'hommes armés occupant un parc de l'Oregon inscrivent leur action dans une longue tradition d'hostilité au gouvernement fédéral ravivée ces dernières années par des propriétaires de ranchs de l'ouest du pays.

Quelle est l'origine de cette contestation?

Ce mouvement s'inscrit dans le débat américain sur les prérogatives de l'État fédéral face aux administrations locales, incarné peu après l'entrée en vigueur de la Constitution de 1789 par la «révolte du Whisky». À l'époque, le gouvernement, endetté par la guerre d'indépendance, augmente les taxes sur l'alcool, dont le whisky, une mesure violemment dénoncée par des commerçants qui s'opposent à la trop grande autorité, selon eux, du pouvoir fédéral.

Deux siècles plus tard, à la fin des années 60, des partisans de la suprématie blanche opposés au mouvement des droits civiques, et donc à la lutte contre la ségrégation raciale, se liguent sous la bannière du «Posse comitatus» - ou Autorité du comté - fondé justement en Oregon. Pour ses adhérents, le comté est le niveau ultime de l'autorité politique. Le gouvernement fédéral, défenseur des minorités et percepteur des impôts, est perçu comme une force d'occupation étrangère. D'autant plus étrangère selon certains, qu'elle serait entre les mains d'éléments socialistes, voire d'un «lobby israélite», antagonistes à une Amérique chrétienne. Dans les années 70, le Congrès américain adopte des lois pour reprendre le contrôle de terres dans l'ouest du pays, ce qui irrite entre autres des agriculteurs qui vont progressivement joindre les rangs de ce mouvement qui servira de vivier à des milices armées.

Quelle en est l'influence religieuse?

Le pan religieux de ce nouvel extrémisme s'incarne à Waco, au Texas, en 1993, lorsque des membres d'une secte adventiste recherchés pour port d'arme illégal, se retranchent pendant 51 jours dans leur centre avant que les autorités ne donnent l'assaut au gaz. Mais le gaz s'embrase pour tuer 76 personnes. Les événements galvanisent la droite américaine et inspirent Timothy McVeigh qui se vengera deux ans plus tard en perpétrant un attentat au camion piégé contre un complexe gouvernemental d'Oklahoma City. Bilan: 168 morts. L'attaque «intérieure» la plus violente de l'Histoire des États-Unis.

Une contestation agricole?

Le pan agricole du «Posse comitatus» trouve quant à lui écho avec fracas en 2014 lors d'une confrontation au Nevada entre policiers et miliciens sous la houlette de Cliven Bundy, un propriétaire de ranch refusant de payer plus d'un million de dollars en droits de pâturage impayés depuis deux décennies. Si en Afrique, l'accès à l'eau et le pâturage opposent des clans ou tribus, dans le cas de l'affaire Bundy c'est la prétention d'un citoyen à la propriété terrienne qui entre en conflit avec le gouvernement fédéral. Aujourd'hui, en Oregon, des membres de la famille Bundy font d'ailleurs partie des miliciens occupant le Malheur National Wildlife Refuge.

Combien y a-t-il de miliciens aux États-Unis?

Selon le Southern Poverty Law center (SLC), un organisme à but non lucratif, l'affaire Bundy a «tonifié une mouvance extrémiste revigorée par l'élection de Barack Obama», pour passer de 150 groupes en 2009 à plus de 1000 aujourd'hui. Ces groupes se disent de fiers «patriotes», hostiles au gouvernement fédéral, mais se revendiquant de certains articles de la Constitution, notamment sur le port d'armes. Le nombre précis de leurs membres et, de surcroît, de leurs partisans, demeure difficile à établir. Cette mouvance milicienne pourrait toutefois encore gagner en popularité chez les électeurs de la droite, conservatrice ou libertarienne, dans la foulée de nouvelles mesures attendues par l'administration Obama pour encadrer le port d'armes.