L'homme s'est d'abord attardé devant les journaux, étalés près de l'entrée du Fatima Food Mart. Ce jour-là, une photo de la tueuse de San Bernardino, Tashfeen Malik, se trouvait en une du New York Post.

Puis l'homme s'est tourné vers Sarker Haque, propriétaire du commerce situé à Astoria, dans le quartier de Queens. «Est-ce que tout est gratuit ici?», a-t-il demandé en se mettant à toucher la marchandise. Quand le commerçant originaire du Bangladesh s'est approché du client, qui le dépassait d'une bonne tête, ce dernier lui a sauté dessus et s'est mis à le rouer de coups en disant: «Je vais tuer les musulmans!»

L'assaut n'a pris fin qu'à l'arrivée d'un autre client, qui a appelé la police. L'assaillant, âgé de 54 ans, a été arrêté. Et le FBI a lancé une enquête sur ce qu'il considère comme un crime haineux.

«J'ai pensé que j'allais mourir», a déclaré hier à La Presse Sarker Haque, qui arborait un oeil au beurre noir et souffrait d'une main disloquée.

Deux jours avant l'assaut, soit le lendemain de la tuerie de San Bernardino, un homme était entré dans le Fatima Food Mart et avait crié à son propriétaire, avant de ressortir aussitôt: «Retourne au Pakistan!»

«C'est pire qu'après le 11-Septembre», a déclaré Sarker Haque en faisant allusion au climat antimusulman qui s'est instauré selon lui à New York depuis les attentats de Paris. «Cela fait 26 ans que je vis à Astoria, et je n'ai jamais eu peur comme aujourd'hui.»

L'assaut contre le commerçant de 54 ans s'ajoute aux dizaines d'incidents antimusulmans répertoriés depuis le 13 novembre aux États-Unis par le CAIR, principale association américaine de défense des droits civiques des musulmans.

Sadiya Khalique, directrice des opérations du CAIR à New York, est alarmée.

«La vie des musulmans américains est mise en danger par l'hystérie antimusulmane croissante [qui règne] dans notre nation et par les déclarations incendiaires d'un certain nombre de personnalités nationales», a-t-elle dit.

Les propos de Trump

En tête de ces personnalités figure évidemment Donald Trump, qui a proposé lundi d'interdire l'entrée sur le territoire américain à tous les musulmans. Une proposition qui a suscité chez les musulmans d'Astoria rencontrés hier des réactions d'incrédulité, de peur et de colère.

«Le fait qu'il y ait un mauvais musulman ne signifie pas que tous les musulmans sont mauvais!», s'est exclamé Mourad Chehbi, natif du Maroc, en préparant un falafel dans un camion-restaurant. «Je ne peux pas croire qu'un candidat à la présidence des États-Unis puisse vouloir utiliser la religion de cette façon pour gagner. C'est irresponsable.»

Après une pause, il a ajouté, sourire en coin: «En tout cas, je suis heureux d'être arrivé aux États-Unis avant son élection!»

Un mauvais rêve

La tête recouverte d'un foulard, Linda Salahat n'était pas d'humeur à ironiser. Née aux États-Unis, l'étudiante de 21 ans s'est réveillée hier matin en réalisant qu'elle n'avait pas fait un mauvais rêve. Le meneur de la course à l'investiture républicaine avait bel et bien appelé à fermer les frontières de son pays aux adeptes de l'islam.

«Donald Trump est le meilleur allié du groupe État islamique aux États-Unis, a-t-elle dit. Il alimente les divisions et contribue à renforcer l'idée que les musulmans ne peuvent pas être de bons Américains. C'est tellement faux, tellement triste», a-t-elle dit avant de reprendre sa route vers la station de métro qui surplombe la 31e Rue, à Astoria.

Non loin de là, Abou Niang, un musulman d'origine sénégalaise, se livrait à un commerce étonnant dans un petit marché en plein air. Parmi sa marchandise se trouvaient des portraits encadrés de Donald Trump avec son autographe ou son slogan électoral «Rendre sa grandeur à l'Amérique».

«Je ne suis pas un admirateur de Donald Trump, mais ça se vend bien», a déclaré Abou Niang en donnant un coup de plumeau sur les portraits de l'ancienne vedette de téléréalité.

«C'est un juste retour des choses, je trouve. Il aide un musulman à survivre à New York.»

ILS ON DIT

Sources: La Presse, AFP