La provocation antimusulmane calculée de Donald Trump s'inscrit dans une stratégie payante depuis l'été: proposer de reconstruire les défenses d'un pays dépassé par les menaces, quitte à rompre avec certaines valeurs historiques, du respect des religions au refus de la torture.

Le paradoxe est frappant: comment Donald Trump peut-il être le choix numéro un de l'un des deux grands partis américains, pour les primaires présidentielles de 2016, et proposer en même temps de discriminer certaines populations sur la base de leur religion (l'islam), de restreindre la liberté d'internet pour lutter contre la radicalisation, et de réinstaurer la simulation de noyade, technique d'interrogatoire bannie par Barack Obama?

Les précédents existent dans l'histoire américaine. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont interné des dizaines de milliers de Japonais et Américains d'origine japonaise. À partir de la fin du XIXe siècle, des lois ont interdit aux Chinois, aux Asiatiques et d'autres groupes ethniques d'entrer aux États-Unis.

Le courant nativiste n'a jamais disparu. En 2000, le républicain Pat Buchanan avait diffusé une publicité montrant un homme, étouffé par une boulette de viande, tentant désespérément d'appeler les secours, mais contraint d'attendre au téléphone: «Pour parler en espagnol, appuyez sur un... pour le coréen, sur deux...»

L'ascension de Trump est dopée par ses talents médiatiques et coïncide avec une série de crises: l'afflux de clandestins arrivés d'Amérique centrale par le Mexique, l'exode de millions de réfugiés au Moyen-Orient, les ravages du groupe armé État islamique, les attentats de Paris et de San Bernardino. Sans compter une reprise économique qui se fait attendre pour la classe moyenne.

«Stratégiquement, ce qu'il fait est logique», dit Jennifer Lawless, politologue à l'Université Américaine (A.U.). «Il n'aurait probablement pas pu gagner en faisant campagne seulement sur l'immigration. Mais en liant cela au terrorisme, à la diplomatie, à la sécurité nationale, il change de dimension».

La base de Trump, ce sont ceux qui «s'inquiètent d'une disparition de la culture américaine et craignent une invasion», dit Christopher Arterton, professeur de gouvernement à l'Université George Washington.

L'élément nouveau des dix dernières années, selon lui, est que de plus en plus de conservateurs ne font plus confiance aux grands médias, accusés de biais partisan quand ils contredisent des déclarations ou des faits inexacts.

«Du bon sens»

Conscient de la méfiance ambiante d'une partie des Américains, notamment des évangéliques blancs, envers la minorité musulmane (1 % de la population), Donald Trump éreinte la soi-disant faiblesse, naïveté et attitude «politiquement correcte» de Barack Obama contre un ennemi qui serait évidemment musulman, puisque les tueurs de Californie et de Paris l'étaient.

«J'ai du bon sens», a-t-il asséné mardi, comme lorsqu'il a proposé d'expulser tous les clandestins présents aux États-Unis et de construire un mur à la frontière avec le Mexique. Il parle de «cheval de Troie», de décapitations, de haine. «Nous avons besoin d'intelligence et de fermeté dans ce pays».

«Le terrorisme fait peur et c'est compliqué à résoudre. Donc quand quelqu'un arrive avec une proposition toute simple, même si ça ne résout rien, cela permet aux gens d'évacuer leurs peurs non exprimées», analyse David Siegel, qui enseigne sur les comportements de groupe à l'Université Duke.

«Si autrui est un mal, il est plus facile d'accepter de violer certains principes», dit-il.

Reste que le malaise du Parti républicain, jusqu'à présent timidement exprimé, a muté en colère, peut-être car les dirigeants croient que la dernière heure de Trump approche, enfin. Le respecté nouveau président de la Chambre des représentants, Paul Ryan, a déclaré que fermer les frontières aux musulmans, ce n'était pas du conservatisme.

Beaucoup de républicains pointent que la liberté de religion est le fondement de l'Amérique, avec les premiers colons puritains. Et dénoncent une proposition contraire à la Constitution, qui interdit les discriminations religieuses.

«Je me fiche d'eux», a balayé Donald Trump, candidat anti-système par excellence, sur CNN mardi. «Je ne suis politicien que depuis six mois».

Jusqu'à présent, les controverses ont aidé le candidat, mais les experts interrogés par l'AFP estimaient possible qu'il ait atteint un plafond, avec environ 30 % des intentions de vote des électeurs républicains.

«Une fois qu'il restera trois ou quatre candidats, je ne vois pas d'où viendront ses réserves de voix», croit Robert Boatright, professeur de sciences politiques à l'Université Clark.