«Tireur actif, tireur actif!» L'annonce par mégaphone interrompt brutalement la matinée à l'école secondaire Truman de Levittown, petite ville de Pennsylvanie. Le stress grimpe instantanément. En quelques secondes, des tables sont dressées pour barricader la classe. Le tireur n'y entrera pas.

Ce n'est, heureusement, qu'un exercice, répété à l'envi dans de nombreuses écoles américaines. Après les fusillades de ces dernières années, qui ont fait des dizaines de morts dans des établissements scolaires, des formations ont été mises en place pour aider les enseignants à réagir à l'intrusion d'un tireur.

Ce matin, ils sont une trentaine d'adultes réunis dans la bibliothèque de l'école secondaire Truman, établissement de 1500 élèves, à écouter un formateur détaillant statistiques et conseils, avant des exercices pratiques par petits groupes, dans des salles de classe inutilisées.

Barricader la porte avec tables et chaises. S'éparpiller dans la pièce. Chercher une façon de fuir. Et si le tireur entre, lui lancer toutes sortes d'objets pour le déstabiliser. Faire du bruit. «Il y a mieux à faire que d'attendre» la police, explique le formateur Michael Kimball, un ancien policier, qui souligne que les incidents armés ne durent souvent que quelques minutes, avant même l'arrivée des forces de l'ordre.



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«Limiter les pertes»

Le programme sur deux jours, à l'initiative des autorités locales, coûte 595 $ par personne. Il s'adresse à des enseignants, personnels scolaires, mais aussi pompiers, policiers et autres professionnels de la sécurité, tous soucieux d'être préparés à ce qui leur semble devenu une réalité incontournable.

Mis en place après le massacre dans la polyvalente de Columbine en 1999 par un ancien policier dont la femme était directrice d'école primaire, le programme s'appelle «Alice», pour Alert, Lockdown, Inform, Counter, Evacuate (alerter, confiner, informer, contrer et évacuer).

Il affirme avoir déjà formé plus d'un million de personnes, notamment dans plus de 2600 écoles, 600 universités, 700 entreprises, 500 centres médicaux.

Les participants apprennent comment réagir, gérer le stress, connaître leur environnement, et comment fonctionne psychologiquement un tueur.

«Quand vous vous formez, vous apprenez à gagner», leur explique Michael Kimball, qui souligne que les tireurs se croient tout puissants, mais ne le sont pas. «Si vous prenez le contrôle, ils n'ont plus rien».

Puis vient le temps des exercices pratiques. Ce jour-là, les participants sont confrontés à six scénarios : tueur venu de l'extérieur, élève sortant son arme en classe...

Les scènes, après une alerte par mégaphone, se jouent très vite, comme souvent dans la réalité, suivies d'un débreffage où les rires évacuent le stress.

Le but est de leur «enseigner des compétences de survie (...) pour aider à limiter les pertes et les blessés. Nous leur apprenons le bon sens», explique M. Kimball.

Triste réalité

Il s'agit aussi de «rendre plus difficile» la tâche du tueur. De «le ralentir», quand chaque seconde compte. «Le plus important, c'est d'être proactif pour votre propre sécurité», insiste l'ancien policier.

Dans la salle de classe où essaie d'entrer un (faux) tireur, les participants jouent le jeu, se barricadent à toute allure. À une autre occasion, ils se jettent sur le tueur armé pour le neutraliser.

Mike McHugh, professeur d'adolescents handicapés, prévoit d'entraîner ensuite ses élèves. «Ça fait peur, mais il faut le faire. Construire une barricade, voir si ça tient, vérifier qu'on peut sortir par la fenêtre», dit-il en ajoutant qu'il va répéter plusieurs fois.

«Vous perdez du temps d'enseignement pour tous ces exercices : mais je pense que c'est important», ajoute-t-il.

«C'est triste de vivre dans un pays où vous devez dire à vos élèves "nous devons nous préparer à ça", mais c'est la réalité. Il y a 25 ans, quand j'ai commencé, vous n'auriez jamais pensé à ça».

Karen Madden, institutrice, veut également transmettre ce qu'elle a appris à ses collègues. «Nous devons savoir quoi faire, nous sommes une grosse école, nous devons être prêts à tout», dit-elle.

Elle aussi compte entraîner ses élèves.

«Ils ne savent pas lacer leurs chaussures, et vous devez leur dire: "au fait, vous devez vous entraîner au cas où il y aurait un tireur"», dit-elle. «Mais il faut le faire, c'est la réalité d'aujourd'hui».

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