Le 8 octobre 1986, à l'Astrodome de Houston. George W. Bush est furieux. Il vient de s'apercevoir que son frère Jeb et son neveu George P. sont assis dans la loge réservée à l'entourage de son père. À la veille d'annoncer sa candidature à la présidence des États-Unis, George H.W. Bush, alors vice-président, a accepté avec plaisir l'invitation des Astros de lancer la première balle à l'occasion du match d'ouverture du championnat de baseball de la Ligue nationale. Et il a lui-même demandé à ses fils d'être présents.

«Bullshit!», jure l'aîné des frères Bush en quittant son siège, situé derrière le marbre, pour aller se plaindre à qui de droit. «George!», lance sa femme Laura, qui craint un esclandre. Richard Cramer, qui raconte la scène dans What It Takes, classique du journalisme politique sur la campagne présidentielle de 1988, n'impute pas à George Bush père la disposition des places. Mais quelqu'un, quelque part, a décidé que le futur candidat présidentiel préférerait être vu ce jour-là en compagnie de Jeb, le plus sérieux de ses fils, celui qui lui ressemble le plus.

Vingt-neuf ans plus tard, la saga des Bush se poursuit, créant de nouvelles scènes susceptibles d'inspirer un Shakespeare contemporain. À 91 ans, George Bush père a délaissé les reprises de son émission de télévision préférée, CSI, pour dévorer de façon obsessive la couverture quotidienne de la campagne présidentielle sur Fox News et regarder les débats entre les candidats à l'investiture du Parti républicain.

«Il jette ses chaussures sur la télé quand son fils est attaqué ou insulté par notre candidat favori», a déclaré Jeb Bush lors d'un rassemblement au New Hampshire, faisant référence à Donald Trump, l'un des trois ou quatre candidats républicains qui le devancent dans les sondages.

Ce ton blagueur ne doit pas faire illusion. Le clan Bush traverse ces jours-ci une période pénible, voire humiliante. Avant de rendre l'âme, George père voulait assister à l'élection à la présidence de son fils Jeb, un rêve qu'il caresse depuis son éviction de la Maison-Blanche après un seul mandat. Son aîné a surpris tout le monde en se faisant élire gouverneur du Texas en 1994 et président en 2000 (avec l'assistance de la Cour suprême), mais il n'a jamais cessé de se rebeller contre lui.

«Je m'en remets à un père supérieur», a répondu fameusement George W. Bush au journaliste Bob Woodward, qui lui demandait s'il avait demandé conseil à son paternel avant de décider d'envahir l'Irak.

Contrer l'effet Marc Rubio

Mais les liens du sang demeurent les plus forts. Et George W. Bush a rejoint son père, sa mère et son frère à Houston la semaine dernière pour participer à une rencontre avec de riches donateurs. L'objectif n'était pas seulement de renflouer les caisses du candidat, mais également de contrecarrer l'attrait du sénateur de Floride Marco Rubio, «l'Obama du Parti républicain», pour reprendre les mots d'un conseiller de Jeb Bush.

L'expression se voulait une insulte. Mais Marco Rubio a eu le dessus sur Jeb Bush lors du troisième débat républicain, tenu mercredi soir dernier. Attaqué pour son manque d'assiduité au Sénat, le jeune sénateur a eu cette réplique qui a dégonflé celui qui est considéré comme son mentor: «J'ai écouté Jeb ces dernières semaines, alors qu'il voyageait dans tout le pays et disait qu'il avait pour modèle John McCain, qu'il allait faire un come back comme lui en se battant dans le New Hampshire et dans d'autres États [...]. Je ne me souviens pas de vous avoir jamais entendu vous plaindre [de l'absentéisme] de John McCain [au Sénat]. La seule raison pour laquelle vous le faites maintenant est parce que nous sommes tous deux candidats au même poste, et que quelqu'un vous a convaincu qu'il est dans votre intérêt de m'attaquer.»

Des airs de 1994

Jeb Bush finira peut-être par faire mentir les commentateurs qui ont vu dans cette réplique un coup fatal. Mais sa campagne présidentielle commence sérieusement à ressembler à sa première campagne au poste de gouverneur de Floride, en 1994. Accompagné de sa femme Barbara, George Bush père s'était alors déplacé à Tampa pour rassurer les donateurs républicains de l'État et témoigner de son affection particulière pour Jeb.

«Personne n'aime ne pas finir ce qu'il a commencé à faire, mais le produit final est assis ici», avait déclaré le 41e président en montrant du doigt son fils Jeb.

Son adversaire démocrate et vainqueur éventuel, Lawton Chiles, avait sauté sur l'occasion pour se moquer du candidat républicain en utilisant ses prénoms officiels.

«John Ellis, quand allez-vous cesser de demander à maman et à papa de venir ici pour lever un autre million de dollars? Quand allez-vous vous tenir sur vos propres jambes?», avait-il demandé.

La semaine dernière, Donald Trump a également tourné en dérision la rencontre de Jeb Bush à Houston «avec maman et papa».

George Bush père a dû de nouveau avoir envie de jeter ses chaussures sur la télé.