Ce n'est pas tous les jours que deux mafieux de New York s'intéressent à ce qui se passe à Charlemagne, PQ.

Mais, en cette journée de fin novembre 2011, Gaspare Valenti demande à son cousin Vincent Asaro ce qu'il sait du meurtre de Salvatore (Sal The Ironworker) Montagna. Expulsé au Canada en 2009, le chef par intérim du célèbre clan Bonnano de New York vient d'être abattu dans la ville natale de Céline Dion. Son corps a été retrouvé inerte et ensanglanté sur le bord de la rivière L'Assomption.

«Je ne sais pas ce qui se passe au Canada», répond Asaro à Valenti, selon l'enregistrement d'une conversation entendu la semaine dernière au procès de ce mafieux de 80 ans, accusé de plusieurs crimes étalés sur 45 ans, dont un cambriolage historique évoqué dans le film de Martin Scorsese Goodfellas (Les Affranchis).

«Je ne sais même pas ce qui se passe à Ozone Park», ajoute-t-il en faisant référence au quartier de Queens où il vivait, aussi frustré que fauché, avant d'être arrêté en janvier 2014.

Commencé lundi dernier dans un tribunal de Brooklyn, le procès de Vincent Asaro fascine New York pour plus d'une raison. Il jette d'abord un éclairage inédit sur le braquage de la Lufthansa commis à l'aéroport JFK le 11 décembre 1978. Jamais un vol en territoire américain n'avait autant rapporté à ses auteurs: 5 millions en argent liquide et 1 million en bijoux, soit l'équivalent de 20 millions de dollars actuels, entreposés dans un coffre qui venait d'arriver à New York à bord d'un avion-cargo. Le butin n'a jamais été retrouvé et aucun des braqueurs n'a été puni pour ce crime.

Complices dans le camp Bonnano

Le procès d'Asaro a confirmé qu'un des cerveaux du braquage était bel et bien Jimmy Burke (joué par Robert De Niro dans Goodfellas), un associé du clan Lucchese, une autre des cinq familles de la mafia new-yorkaise. Mais il a mis en lumière pour la première fois le fait que les complices présumés de Burke n'appartenaient pas à son clan, mais plutôt à celui des Bonnano.

Selon le témoignage de Gaspare Valenti, qui collabore avec le FBI depuis 2008, Asaro a planifié la casse avec Burke et se trouvait dans la même voiture que ce dernier dans la soirée du 11 décembre 1978, prêt à jouer le rôle de leurre en cas de pépin. Valenti était pour sa part au volant de la camionnette volée dans laquelle le butin a été entassé. À la barre, il s'est souvenu de l'«euphorie» qui s'est emparée des principaux architectes du crime lorsque ceux-ci ont fini de compter l'argent du vol dans le sous-sol de la résidence d'Asaro.

«Nous pensions qu'il y aurait 2 millions», a dit Valenti.

Mais la suite n'a pas été heureuse pour les hommes qui ont participé au braquage. Comme le raconte Goodfellas, Burke a fait assassiner la plupart d'entre eux afin de s'assurer de leur silence. Quant à Asaro, il n'aurait reçu que 500 000$, selon l'accusation, magot dont il a perdu la majeure partie au jeu.

«Nous n'avons jamais eu notre juste part, [...] nous nous sommes fait complètement baiser», se plaint Asaro à Valenti en février 2011, selon l'enregistrement d'une conversation présenté en cour mercredi dernier. «Ce putain de Jimmy [Burke] a tout gardé.»

Des petits coups

Asaro a passé le cap des 75 ans lorsqu'il s'exprime ainsi. Il confie les frustrations de sa petite vie de mafieux «passé date» à son cousin, qui l'enregistre à son insu. Malgré leur âge avancé, les deux hommes continuent à planifier des petits coups. Un jour, Asaro suggère de détourner un camion rempli de cigarettes. Trop risqué, lui répond Valenti en faisant allusion aux caméras et aux systèmes d'alarme dont sont munis aujourd'hui les camions de marchandise.

Les deux hommes se rabattent sur un autre projet: le vol d'un revendeur de drogue, qui leur rapporte 2000$.

Un autre jour, Valenti et Asaro déplorent les obstacles bureaucratiques qui les empêchent d'obtenir des food stamps, ces coupons alimentaires offerts par le gouvernement fédéral aux indigents.

«C'était facile autrefois, les food stamps», dit Asaro.

C'est moins spectaculaire que le braquage de la Lufthansa, mais c'est parlant.

Cheveux coiffés en arrière, nez busqué et regard sévère, Vincent Asaro est également accusé de meurtres, dont celui de Paul Katz, qu'il aurait étranglé en 1969 avec une laisse de chien. Son procès, qui durera plusieurs semaines, s'est ouvert avec le témoignage de Salvatore Vitale. Devenu informateur en 2003, l'ancien numéro deux de la famille Bonnano a déjà contribué à l'emprisonnement de 55 mafieux, dont son ancien patron, Joseph Massino, et Vito Rizzuto.

Asaro, qui n'aura jamais dépassé le rang de capitaine dans la mafia, s'inquiétait de son avenir au sein de la famille Bonnano le jour de novembre 2011 où il a avoué ne rien savoir du meurtre commis à Charlemagne. Mais il savait ce qu'il mangerait pour le souper.

«Je vais me faire une soupe aux lentilles», a-t-il confié à son traître de cousin.