Frappée par la pire sécheresse en 1200 ans, la Californie doit rationner l'eau, une première. Quelles sont les solutions? Un pipeline? Dessaler l'eau du Pacifique? Recycler l'eau d'égout? À Orange County, au sud de Los Angeles, une centrale de traitement de l'eau unique au monde purifie des millions de litres d'eau d'égout chaque jour. Visite dans les coulisses de l'usine.

Lorsque l'aviateur milliardaire Howard Hughes avait eu vent d'un projet de recycler les eaux usées de Las Vegas pour les rendre potables à nouveau, il avait dépensé une partie de sa fortune - en vain - pour faire dérailler l'affaire.

«L'eau de Las Vegas sera synonyme d'eau d'égout!», s'était emporté le célèbre germophobe.

On ne saura jamais ce que Hughes, mort en 1976, aurait pensé du Groundwater Replenishment System d'Orange County (GWRS), en Californie, la plus grande usine de purification des eaux usées du monde. Mais on peut présumer qu'il aurait été horrifié.

Une réaction compréhensible, signale Denis Bilodeau, vice-président du GWRS. «Or, les faits sont clairs: l'eau que nous produisons est plus pure que l'eau qui sort de votre robinet.»

Américain dont la famille est originaire de Victoriaville, M. Bilodeau porte fièrement son chandail du Canadien pour notre visite de l'usine, un imposant complexe de plusieurs bâtiments qui ressemblent à une série d'entrepôts de haute technologie. Il explique que des ingénieurs de partout sur la planète viennent visiter les installations qu'il supervise.

«Il y a beaucoup d'intérêt. La question de la récupération de l'eau ne touche pas seulement la Californie. C'est une question mondiale.»

Située à une heure de route au sud de Los Angeles, l'usine de GWRS fonctionne comme suit: les eaux usées des 3 millions de résidants d'Orange County sont d'abord traitées par une station d'épuration traditionnelle. Au lieu d'être rejetée dans l'océan, l'eau qui a «un peu la couleur du thé» est envoyée à l'usine de purification GWRS.

Là, des millions de litres d'eaux usées sont poussés dans des filtres et des membranes de plus en plus fins, pour ensuite être traités à l'osmose inversée et passer dans des cartouches qui bombardent l'eau de rayons ultraviolets, ce qui élimine les virus et les bactéries.

Le résultat: une eau limpide et inodore. Denis Bilodeau actionne un robinet et remplit un verre de plastique, qu'il nous tend avec un grand sourire.

«Il y a 45 minutes, l'eau de ce verre était de l'eau d'égout», nous dit-il, en avalant lui aussi un verre plein.



Citée en exemple

Si Denis Bilodeau sourit ces temps-ci, c'est que son équipe et lui passent pour des génies. Quand l'usine de purification a été mise en service, en 2008, la Californie ne manquait pas d'eau.

Maintenant que l'État vit la pire sécheresse en plus d'un millénaire, l'usine est citée en exemple. La centrale inaugurera une nouvelle aile en juin et traitera alors un total 380 millions de litres d'eaux usées par jour, assez pour combler les besoins de 850 000 personnes.

Le procédé consomme énormément d'énergie: l'usine paye plus de 1 million de dollars en électricité par mois. Or, les solutions de rechange sont plus énergivores encore, remarque M. Bilodeau.

«Importer l'eau du nord de la Californie prendrait deux fois plus d'énergie et dessaler l'eau de mer, trois fois plus.»

Actuellement, l'eau purifiée est renvoyée dans la nappe phréatique, avant d'être pompée, traitée à nouveau et envoyée dans le réseau d'aqueduc. «Le fait d'envoyer l'eau dans la nappe est plus acceptable pour le grand public», dit M. Bilodeau, qui estime que l'eau produite par l'usine sera éventuellement envoyée directement dans les chaumières. «Je suis certain que je vais le voir de mon vivant.»

Après quatre années de sécheresse, la nappe phréatique située sous Orange County n'est remplie qu'à 20%, un record.

Malgré tout, le prix de l'eau reste raisonnable. M. Bilodeau évalue que la facture de l'eau payée par une famille moyenne est d'environ 50$ par mois, une somme qui peut tripler ou quadrupler pour les ménages qui ont un grand terrain à arroser.

Pour l'instant, personne ne manque d'eau à Orange County. Quand on lui demande de nommer une date à partir de laquelle il commencera à perdre le sommeil si la pluie n'arrive pas, M. Bilodeau n'hésite pas.

«L'an prochain. Si nous ne recevons pas plus d'eau l'an prochain, là je vais être nerveux.»

PHOTO IVANOH DEMERS, LA PRESSE

Le procédé consomme énormément d'énergie: l'usine paye plus de 1 million de dollars en électricité par mois.

DEUX AUTRES SOLUTIONS

Dessaler l'eau de mer

À l'été, une importante usine de dessalement de l'eau de l'océan Pacifique de 1 milliard de dollars sera mise en opération près de San Diego. Lors de sa mise en service, le Carlsbad Desalination Project deviendra la plus grosse installation du genre aux États-Unis.

Malgré le regain d'intérêt et les récentes percées qui rendent les nouvelles usines plus performantes, le dessalement demeure une méthode coûteuse, explique en entrevue Ellen Hanak, directrice du Centre des politiques sur l'eau à l'Institut des politiques publiques de Californie, à San Francisco. 

Mme Hanak remarque que l'usine de dessalement de San Diego, si gigantesque soit-elle, ne comblera que 7% des besoins en eau de la région. «Ça peut être intéressant pour des communautés qui n'ont vraiment pas beaucoup d'eau, mais je crois que ça demeure une solution d'appoint. Conserver l'eau et recycler les eaux usées sont deux solutions beaucoup moins coûteuses.»

Le pipeline de William Shatner

Pour s'attaquer à la sécheresse, pourquoi ne pas construire un pipeline qui transporterait l'eau des États pluvieux du nord-ouest américain, comme l'État de Washington, ou même l'Alaska, jusqu'en Californie?

C'est une suggestion qui revient périodiquement dans l'actualité, et qui a été faite récemment par nul autre que l'acteur William Shatner.

«Ce serait vraiment difficile de construire un pipeline d'un mètre de diamètre, au-dessus du sol? Si vous avez une fuite, vous irriguez!», a dit le capitaine Kirk cette année en entrevue avec le journaliste David Pogue.

À première vue, l'idée paraît séduisante. Mais les obstacles à sa réalisation sont trop nombreux pour qu'elle soit viable, explique Ellen Hanak, directrice du Centre des politiques sur l'eau à l'Institut des politiques publiques de Californie, à San Francisco.

«L'un des problèmes, c'est que la construction d'un pipeline et les coûts en énergie pour y faire circuler un grand volume d'eau seraient prohibitifs. Oui, on transporte le pétrole de cette façon, mais une unité de pétrole possède un prix de revente beaucoup, beaucoup plus élevé qu'une unité d'eau.»