Condoléances et «profonds remords»: le premier ministre japonais Shinzo Abe a réitéré devant le Congrès américain mercredi la position japonaise de repentance pour son passé militariste, mais sans prononcer les mots d'excuses attendus par les défenseurs des ex-esclaves sexuelles asiatiques.

Jamais un dirigeant japonais n'avait prononcé de discours devant les deux chambres du Congrès réunies, une occasion historique pour célébrer l'alliance entre les deux nations au cours de la visite de Shinzo Abe, reçu la veille par Barack Obama à la Maison-Blanche.

Avant d'être ovationné dans l'hémicycle de la Chambre des représentants par des centaines de parlementaires, Shinzo Abe s'est rendu au mémorial de la Seconde Guerre mondiale à Washington, érigé en mémoire des plus de 400 000 morts américains du conflit.

«L'histoire est dure», a déclaré Shinzo Abe devant les élus, dans un discours en anglais. «Mes chers amis, au nom du Japon et du peuple japonais, je présente avec un profond respect mes condoléances éternelles aux âmes de tous les Américains disparus pendant la Seconde Guerre mondiale».

Des condoléances rituelles, qu'il avait également exprimées devant le parlement australien en juillet dernier et qui ont déclenché une tout aussi rituelle standing ovation des élus américains.

«Nous sommes très reconnaissants pour son hommage à nos héros tombés au combat», s'est félicité le président de la Chambre, John Boehner.

Mais c'est la question de la domination coloniale exercée par le Japon sur ses voisins asiatiques jusqu'à la guerre, et l'exploitation sexuelle par l'armée japonaise de 200 000 femmes, pour la plupart Coréennes, qui a créé la fausse note de ce déplacement.

Le représentant démocrate Mike Honda a invité dans les tribunes du public au Congrès Lee Yong-soo, une ex-victime coréenne de 87 ans, devenue porte-voix de celles qu'un euphémisme consacré appelle les «femmes de réconfort».

Shinzo Abe n'a pas changé sa ligne consistant à reprendre à son compte les déclarations passées des premiers ministres sur les «profonds remords» des actions japonaises qui «ont fait souffrir les peuples des pays asiatiques».

«Je maintiendrai les positions exprimées par les anciens Premiers ministres à cet égard», a déclaré Shinzo Abe sans les répéter explicitement. C'est-à-dire: les «excuses sincères» de Tomiichi Murayama, en 1995, pour «la domination coloniale et l'agression» des pays voisins, une formulation reprise en 2005 par Junichiro Koizumi.

Durant son voyage à Washington, il n'aura évoqué les «femmes de réconfort» que lors d'une conférence de presse, mardi, lorsqu'il s'est dit «profondément peiné».

«Notre dernier espoir de réconciliation avec le gouvernement Abe s'est effondré quand nous avons vu qu'il ne mentionnerait pas les +femmes de réconfort+, pas même un mot», a déclaré Lee Yong-soo via l'association Washington Coalition for Comfort Women Issues.

«Il est choquant et honteux» que Shinzo Abe «n'ait pas présenté d'excuses», a réagi Mike Honda.

Libre-échange 

Mais pour l'immense majorité des élus du Congrès, le dossier en tête de l'ordre du jour de cette visite restait le traité de libre-échange en cours de négociations entre Tokyo, Washington et dix autres pays de la région Asie-Pacifique, le partenariat transpacifique (TPP), qui inclut des alliés comme l'Australie, mais pas la Chine.

«Nous devons prendre l'initiative pour bâtir un marché équitable, dynamique, durable, et libéré des intentions arbitraires de tout pays», a dit Shinzo Abe, en assurant: «le but est proche».

La coopération des parlementaires américains est indispensable: le Congrès devra approuver le texte de tout accord, et les républicains, alliés à Barack Obama pour l'occasion, prévoient de faire adopter prochainement un mécanisme permettant au Congrès d'approuver ou refuser tout accord sans possibilité d'amendement. Mais l'aile protectionniste du parti démocrate, soutenue par de grands syndicats, devrait résister.

Ce sera la priorité du Sénat républicain dans les prochaines semaines, une fois le débat actuel sur l'Iran terminé.

Le discours a donné une nouvelle occasion au premier ministre japonais de mettre en garde la Chine, non directement nommée, sur ses ambitions maritimes.

Lundi, Washington et Tokyo avaient approuvé un renforcement de leur coopération en matière de défense.

En 1957, le grand-père de Shinzo Abe, Nobusuke Kishi, alors premier ministre, avait prononcé un discours devant la seule Chambre des représentants, un format moins solennel qui a depuis disparu.

PHOTO PAUL J. RICHARD, AFP

Lors d'une visite hautement symbolique, Shinzo Abe a déposé une couronne de fleurs devant le monument, érigé en l'honneur des centaines de milliers d'Américains morts pendant ce conflit, en partie sous le feu des troupes japonaises.