Le sénateur Rand Paul, conservateur libertaire et précurseur du Tea Party, a lancé mardi sa campagne pour l'investiture républicaine de 2016, sur un programme destiné à faire de lui le candidat «de la liberté» face à l'establishment, représenté par Jeb Bush.

À 52 ans, le sénateur du Kentucky est le deuxième candidat majeur à officialiser son ambition de succéder à Barack Obama à la présidentielle de novembre 2016, après son collègue Ted Cruz il y a deux semaines.

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Jeb Bush, premier des sondages des primaires, n'a pas encore franchi le pas, mais sa candidature est jugée acquise, tout comme celle de la démocrate Hillary Clinton.

«J'annonce aujourd'hui qu'avec l'aide de Dieu, avec l'aide des amoureux de la liberté partout, je suis candidat à la présidence des États-Unis», a lancé Rand Paul lors d'un discours à Louisville, dans son fief du Kentucky (centre-est), devant des centaines de partisans.

«La dette a doublé sous une administration républicaine, et est en train de tripler sous la responsabilité de Barack Obama», a-t-il déclaré, en jurant de vaincre de ce qu'il appelle la «machine washingtonienne», symbole de la bureaucratie fédérale.

«Il me semble que c'est la faute des deux partis et de tout le système politique», a estimé le sénateur, qui propose de limiter le nombre des mandats des élus du Congrès, et d'amender la Constitution pour interdire les déficits.

Dans le style et sur le fond, Rand Paul veut trancher avec ses nombreux rivaux et renouveler l'image, ainsi que l'électorat, du vieillissant parti républicain.

Une étudiante et un révérend noir ex-démocrate ont pris la parole avant lui mardi. Ses équipes ont passé du funk et du Metallica. Sur Twitter et Facebook, elles mènent une campagne très agressive pour recruter des soutiens.

«Le message de liberté, d'opportunité et de justice vaut pour tous les Américains, que vous portiez un costume, un uniforme ou un bleu de travail, que vous soyez blanc ou noir, riche ou pauvre», a-t-il déclaré. «L'amour de la liberté pulse dans mes veines».

Rand Paul, ophtalmologiste de profession, a peu d'expérience politique: il n'a été élu au Sénat qu'en novembre 2010, lancé par le mouvement naissant du Tea Party.

Électorat noir

Ses idées sont héritées de la tradition libertaire (conservateur sur les questions économiques, mais libéral sur les questions de société), représentée aux primaires précédentes par son père, Ron Paul.

Mais comme pour se distinguer de cet héritage radical, il n'a pas donné la parole mardi au père Paul, resté silencieux et impassible dans un gradin.

Rand Paul est en guerre ouverte contre les néoconservateurs de son parti, déplore l'interventionnisme des années Clinton, Bush et Obama, et promeut une ligne économique ultralibérale. Il dénonce les abus de l'Agence nationale de sécurité (NSA) et propose une réforme du système pénal, qui emprisonne trop de jeunes Noirs, dit-il.

Son objectif annoncé d'attirer des électeurs noirs dans le giron républicain réussira-t-il? Niger Innis, directeur général de TheTeaParty.net venu assister au discours, estime que Rand Paul est en tout cas le républicain le plus crédible.

«Rand Paul est en meilleure position pour y parvenir, non seulement à cause de ses idées, mais à cause de l'image qu'il tente patiemment de façonner, celle d'un homme qui tisse des liens concrets et substantiels avec la communauté noire», affirme à l'AFP ce militant noir.

Mais Rand Paul a aussi donné des gages à la base républicaine, inquiète de ses positions passées jugées isolationnistes, en jurant de combattre l'«islam radical» et en durcissant son discours de politique étrangère.

Pour se hisser dans le peloton de tête des prétendants à l'investiture, Rand Paul peut compter sur des partisans réputés plus motivés et plus jeunes que celles de ses concurrents. Ses réunions prévues cette semaine dans quatre États-clés des primaires donneront un aperçu de sa capacité de mobilisation.

Les démocrates, eux, insistent sur le caractère radical des propositions économiques et budgétaires de Rand Paul.

«Il dit qu'il est différent, mais quand on regarde de près, il est comme tous les autres prétendants républicains: bon pour les plus riches et mauvais pour la classe moyenne», a estimé la présidente du parti démocrate, Debbie Wasserman Schultz.

Côté démocrate, Hillary Clinton a déjà ses équipes en place et des bureaux de campagne, suggérant un lancement dans les prochaines semaines.

Les équipes de Rand Paul ont loué une salle d'un immense hôtel où de grands écrans affichaient ce qui ressemblait à un slogan : «vaincre la machine washingtonienne, libérer le rêve américain».

Suivront quatre jours de campagne dans les États qui voteront en premier aux primaires du début de 2016 : Iowa, New Hampshire, Caroline du Sud et Nevada.

C'est en défiant l'«establishment» républicain que Rand Paul, ophtalmologiste de 52 ans, a lancé sa carrière politique en 2009, au tout début du mouvement anti-impôts et anti-État appelé à exercer une influence démesurée au sein du parti républicain durant les années Obama : le Tea Party.

Et c'est en se présentant comme un «nouveau genre de républicain» que Rand Paul cherchera à la fois à rassembler les ultraconservateurs durant les primaires, et à élargir la base électorale du parti auprès des jeunes, des centristes et des minorités - un délicat numéro d'équilibriste.

«Rand est médecin et cela lui donne une perspective unique à Washington», raconte son épouse Kelley dans une nouvelle vidéo de campagne. «Il est formé pour diagnostiquer un problème et trouver une solution».

Il devra assumer l'héritage de son père, Ron Paul, son héros politique qui fut candidat «libertarien» à la présidentielle de 1988, c'est-à-dire conservateur sur les questions économiques, mais libéral sur les questions de société. Le père Paul porta aussi la flamme libertarienne aux primaires républicaines de 2008 et 2012, chaque fois épaulé par son fils Rand.

Électorat jeune

Rand Paul est fidèle à la tradition libertarienne: il est en guerre ouverte avec les néoconservateurs de son parti, dénonce l'interventionnisme des années Clinton, Bush et Obama, et promeut une ligne économique ultralibérale.

Les libertariens saluent sa dénonciation des programmes de surveillance de la NSA (Agence nationale de sécurité), ses propositions sur le cannabis médical et pour une réforme du système pénal, afin de promouvoir des peines alternatives à la prison.

«C'est très important pour les électeurs jeunes», dit à l'AFP Matt Kibbe, président de l'organisation Freedomworks, qu'il décrit comme moteur du «mouvement de la liberté». «Les sujets républicains traditionnels comme le taux marginal de l'impôt ne disent pas grand-chose aux jeunes qui commencent à travailler, alors que les questions de justice rencontrent un bon écho».

Rand Paul préfère se décrire comme un «conservateur libertarien» ou «constitutionnel», et il a mis de l'eau dans son vin libertarien. Alors qu'il dénonçait la gabegie des dépenses militaires américaines, il a récemment soutenu une hausse du budget du Pentagone. Sur le mariage gai et le droit à l'avortement, il est proche de la ligne républicaine traditionnelle.

«Oui, c'est vrai, il a dit des choses qui font râler les libertariens, mais (...) il reste le plus libertarien de tous les candidats», dit à l'AFP David Boaz, vice-président du centre de réflexion libertarien Cato Institute.

Les démocrates, et certains de ses rivaux, préfèrent y voir de l'opportunisme.

«Il dit qu'il est différent, mais quand on regarde de près, il est comme tous les autres prétendants républicains : bon pour les plus riches et mauvais pour la classe moyenne», a estimé la présidente du parti démocrate, Debbie Wasserman Schultz.

Qui est Rand Paul?

Il porte une pièce d'un cent, rouge, à la boutonnière, à la place d'un drapeau américain. Tout le programme de Rand Paul, candidat à l'investiture républicaine pour la présidentielle de 2016, tient dans cette pièce de cuivre : fin des déficits et soumission à la Constitution.

«Ça veut dire : pas un cent de plus dans le rouge», a expliqué Rand Paul après son élection spectaculaire au Sénat à Washington, en 2010, sur la vague du Tea Party, le mouvement ultraconservateur né au début de l'ère Obama.

À 52 ans, le sénateur du Kentucky compte parmi les trois ou quatre biens placés pour les primaires républicaines de début 2016.

Il n'est pas le plus charismatique. Son débit est parfois précipité et il a du mal à sourire.

Mais ce qui lui manque en notoriété et en chaleur, il le compense par l'enthousiasme de ses troupes, plus jeunes que l'électeur républicain moyen, et héritées du mouvement libertarien.

Il y a six ans, seule une poignée de militants du Tea Party avaient entendu parler de cet ophtalmologiste installé à Bowling Green, dans le Kentucky, au centre du pays. Ils ne le connaissaient d'ailleurs que par son père, Ron Paul, trois fois candidat à la présidentielle, libertarien accompli, à qui il doit son éducation intellectuelle (Friedrich Hayek, Ayn Rand, Frédéric Bastiat...). Son héros politique.

«Son intransigeance et sa philosophie politique inébranlable m'ont non seulement inspiré, elles ont aussi permis de faire naître ce qui deviendrait le mouvement du Tea Party. Papa a toujours été un quasi  Tea Party à lui tout seul», raconte Rand Paul dans Le Tea Party débarque à Washington, publié en 2011 (The Tea Party goes to Washington).

Tea Party, mais pas trop

«J'ai été Tea Party avant que le Tea Party ne soit cool», écrit-il. Quand il arrive au Sénat, en janvier 2011, le «nouveau» multiplie les coups d'éclat et fait la une des magazines politiques.

Sa notoriété est dopée par un discours «filibuster» de 13 heures, en mars 2013, pour bloquer la confirmation du directeur de la CIA. Sa véhémence contre les abus de surveillance de l'Agence nationale de sécurité (NSA) est applaudie par les défenseurs des libertés individuelles, des alliés inhabituels pour un républicain.

Rand Paul se définit comme un «conservateur constitutionnel» ou «libertarien» : il dénonce les abus de pouvoir de l'État fédéral, qu'il veut réduire à ses fonctions régaliennes et énoncées dans la Constitution, excluant par exemple l'Éducation.

Son dédain arrose toute la classe politique : démocrates et républicains sont coresponsables du gouffre des finances publiques américaines. Les années Bush? «Un échec épouvantable», a-t-il dit.

En politique extérieure, il déplore l'invasion de l'Irak en 2003, méprise les néoconservateurs, et traite Hillary Clinton de va-t-en-guerre. Mais il rejette l'étiquette isolationniste. Dans une synthèse fragile, il vante la retenue de Reagan et défend une approche «moins agressive», dans un entretien à l'AFP en 2013.

Mais l'ambition s'accompagne d'une dose de réalisme. S'il évoque toujours la cause de la liberté avec grandiloquence, il a abandonné les débats trop philosophiques dans lesquels il s'est retrouvé piégé, notamment sur les lois anti-discrimination.

Il lui arrive de rétropédaler. Alors qu'il proposait en 2011 de supprimer toute aide étrangère, il y est aujourd'hui favorable pour Israël. Lui qui voulait couper à la hache dans toutes les dépenses veut maintenant augmenter le budget du Pentagone, pour faire la paix avec la base républicaine.

Minorités

Les démocrates n'ont de cesse de décrire Rand Paul comme un extrémiste qui disloquerait l'État-providence. Ils contestent aussi sa sincérité dans un dossier où il investit un temps considérable : les droits civiques.

Cinquante ans après la déségrégation, il prône une réforme pénale et l'élimination des peines planchers pour enrayer le cycle prison-chômage-pauvreté, qui entraîne démesurément les jeunes Noirs.

L'objectif assumé est de rattraper le retard abyssal des républicains auprès des électeurs noirs. Mais il permet à Rand Paul de présenter un visage à la fois nouveau, et fidèle aux valeurs fondatrices du parti - Abraham Lincoln, père de l'abolition de l'esclavage, était républicain.

«Le moment venu, j'espère que les Afro-Américains se tourneront à nouveau vers le parti de l'émancipation, des libertés civiques et de la liberté individuelle», a-t-il dit en 2013 lors d'un de ses déplacements dans la communauté noire.