D'abord, les coups de feu. Puis d'autres encore. Et voilà que des jeunes ensanglantés, presque des enfants, sortent les uns après les autres de l'appartement miteux, en titubant dans un tumulte de hurlements.

La scène restera toujours gravée dans la mémoire de Carlos Medina, l'un des premiers témoins arrivés sur les lieux de la fusillade qui a coûté la vie à l'un des fils de la consule générale du Canada en Floride, Roxane Dubé, et mené à l'arrestation du deuxième, lundi.

«Ils avaient l'air d'être des enfants, en tout cas. Il y en avait un qui s'était fait tirer et qui s'est effondré. D'autres étaient blessés. Il y avait un jeune en particulier, il était hystérique, il criait juste "fuck" et quelque chose d'incompréhensible sur son frère», se rappelle le travailleur de la construction qui faisait de l'aménagement paysager dans une cour voisine lors du drame. En entrevue à La Presse, il a dit avoir entendu jusqu'à 10 détonations.

Puis les policiers sont arrivés en trombe. Après avoir sécurisé les lieux, ils ont lancé à l'un des jeunes présents une simple phrase, raconte le travailleur: «Tu l'as tué.»

Pour deux livres de mari

L'affaire continuait à faire la manchette à Miami hier, où plusieurs stations de télévision locale avaient installé des camions-satellites devant la scène du crime. Deux bouquets de fleurs avaient discrètement été déposés sur le sol, jonché d'innombrables bouteilles d'alcool vides. La porte arrière du logement, maculée de sang, était noircie de poudre étendue par les enquêteurs à la recherche d'empreintes digitales.

Selon le quotidien Miami Herald, le drame semble tout droit sorti du Miami ultra-violent des années 80.

Selon les rapports de police déposés au tribunal, une transaction de deux livres de marijuana avait été organisée dans l'appartement du quartier Coral Way, où habitait un certain Joshua Wright, soupçonné d'être un revendeur de drogue.

Quartier tranquille, maison problématique

Le quartier n'est pas réputé comme particulièrement dangereux. «C'est tranquille, il y a une église et une école tout près, je passe toujours là en vélo», a expliqué George Patterson, un père de trois enfants qui habite à proximité.

Mais dans ces environs tranquilles, l'appartement de Joshua Wright détonnait un peu. «L'endroit avait une mauvaise réputation, il y a toujours du va-et-vient de voitures, beaucoup de gens qui fument du pot, et des disputes», explique M. Medina.

Toujours selon les rapports de police, les deux fils de la consule canadienne Roxanne Dubé, Jean Wabafiyebazu, 17 ans, et son frère Marc, qui avait célébré son 15e anniversaire le 18 mars, se sont rendus sur place avec des armes peu avant 14h lundi.

Jean serait entré à l'intérieur, où il aurait négocié avec Joshua Wright et un ami de ce dernier qui fournissait la drogue, Anthony Rodriguez, pendant que Marc attendait à l'extérieur. Puis, une fusillade a éclaté dans le logement. Les détails sont encore flous quant à celui qui a tiré le premier. Quatre personnes ont été atteintes par balles. Deux sont mortes: Jean Wabafiyebazu et Joshua Wright.

L'un des deux (le rapport ne précise pas lequel), criblé de projectiles, est mort sur place, alors que l'autre a rendu l'âme à l'hôpital peu après.

Deux autres blessés ont survécu, dont le fournisseur Anthony Rodriguez. Ce dernier, tout comme Marc Wabafiyebazu, a été accusé de meurtre en vertu des lois de la Floride qui permettent d'accuser quiconque participe volontairement à un affrontement qui se solde par un meurtre.

Des tirs en l'air

Selon Germano Wabafiyebazu, qui est séparé de la consule du Canada, mais demeure en contact étroit avec ses fils, Marc Wabafiyebazu n'aurait tiré sur personne. «Marc était dans l'auto. Il a couru là-bas et trouvé son frère mort et il a tiré en l'air», a assuré le père, joint au téléphone à Ottawa.

M. Wabafiyebazu a défendu la mémoire de son ainé, qu'il qualifie de «bon vivant» sans agressivité.

Il insiste: ses deux fils sont «de bons garçons» et ce n'est pas leur genre de se retrouver impliqués dans une fusillade. Ils ne sont «pas des enfants pourris», assure-t-il.

En citant des sources policières, des médias locaux ont évoqué la théorie que les deux jeunes Canadiens aient voulu voler les revendeurs de drogue. M. Wabafiyebazu en doute.

«Je ne sais pas combien d'enfants prennent de la marijuana, mais ils sont nombreux, a-t-il ajouté, laissant clairement entendre que c'était le cas de ses fils. Ils sont seulement allés dans un endroit à Miami où les attitudes sont très agressives. Je ne vois pas ce qui pourrait justifier de tuer pour un malentendu au sujet du prix, de la quantité ou quoi que ce soit. Mais c'est ce qui est arrivé. C'est malheureux.»

«La vérité va triompher, je suis optimiste. Ce n'est pas seulement l'affaire d'un citoyen, c'est un problème presque national», dit-il.

Enquête délicate

L'implication des fils d'une diplomate rend effectivement l'enquête délicate. Le réseau CBS, citant des sources confidentielles, affirme que les enquêteurs sont soumis à une énorme pression en raison de l'attention internationale portée à leur travail.

Procédure inhabituelle, le service de police de Miami a cessé de répondre aux questions des médias hier et renvoyé tous les appels au département d'État, l'équivalent américain du ministère des Affaires étrangères.

La Presse a pu rencontrer brièvement la consule générale Roxanne Dubé à sa résidence hier. En chemise de nuit, les yeux rougis de larmes, elle a tenté de commenter l'état de son fils cadet, mais elle en a été incapable, trop accablée par le chagrin. Elle a finalement refermé la porte en faisant au revoir doucement de la main.

- Avec Philippe Teiscera-Lessard

Pas d'immunité pour les proches

Les consuls et leurs familles ne jouissent pas de l'immunité qui permet au personnel d'ambassade d'échapper presque inévitablement à la justice du pays d'accueil, selon deux professeurs de droit international questionnés par La Presse.

Marc Wabafiyebazu, le fils de 15 ans de la consule du Canada en Floride, Roxanne Dubé, serait donc considéré comme n'importe quel autre mineur canadien accusé d'avoir commis un crime aux États-Unis. «L'immunité du fonctionnaire lui-même est vraiment moindre que celle du personnel diplomatique. Mais en plus, jamais les membres de la famille qui vivent avec lui ne jouissent de l'immunité», a expliqué le professeur Charles-Antoine Côté, de l'Université Laval. Son collègue Amir Attaran, de l'Université d'Ottawa, confirme que cette absence d'immunité sera «un problème pour le fils». Les procureurs pourront «poursuivre sans problème», a-t-il ajouté.

MM. Côté et Attaran s'entendent aussi pour dire que les événements de lundi ne devraient pas avoir des conséquences substantielles sur les relations diplomatiques entre Washington et Ottawa.