Ornant l'entrée de la grande salle du Conseil de sécurité de l'ONU, la tapisserie Guernica, inspirée du tableau de Picasso sur le bombardement de cette ville espagnole en 1937, semblait convenir parfaitement à la conférence de presse que tenait au même endroit Hillary Clinton, mardi dernier.

Après un discours sur le thème de l'inclusion des femmes dans l'économie, la démocrate s'est présentée devant un micro dressé près de la tapisserie. Elle devait s'expliquer enfin sur l'utilisation exclusive d'un compte de courriel personnel lorsqu'elle était secrétaire d'État, histoire de désamorcer la polémique. Mais les journalistes l'ont bombardée de questions auxquelles elle n'a pas su - ou voulu - répondre de manière convaincante.

«J'ai choisi d'utiliser un compte de courriel personnel pour des raisons pratiques», a-t-elle déclaré avant d'annoncer qu'elle avait supprimé quelque 30 000 messages reçus ou envoyés de mars 2009 à février 2013, ceux-ci étant tous d'ordre personnel, selon ses dires.

Le lendemain, Jon Stewart, animateur de l'émission satirique The Daily Show, a exprimé un scepticisme généralisé dans les médias en s'adressant ainsi à Hillary Clinton: «Vous nous avez dit que vous n'avez pas suivi les règles parce que cela aurait été trop emmerdant d'avoir deux adresses électroniques. Mais vous savez ce qui est encore plus emmerdant? Essayer de supprimer 30 000 courriels.»

Deux choses à retenir

L'épisode a clarifié au moins deux choses. Un: Hillary Clinton briguera bel et bien l'investiture démocrate pour l'élection présidentielle de 2016 (elle ne se serait pas soumise à ce qui ressemblait à un supplice pour une autre raison). Deux: elle aura intérêt à avoir au moins un adversaire sérieux durant cette première étape, faute de quoi les médias chercheront à lui réserver un Guernica de leur cru.

«Je pense que ça sera problématique si elle n'a pas une opposition crédible durant les primaires parce que les médias n'auront qu'elle à scruter du côté démocrate», explique Shawn Parry-Giles, professeure de communication à l'Université du Maryland. «Ça sera très intense. Hillary Clinton attire la controverse comme un aimant. Mais ça ne sera pas nouveau pour elle. Il en est ainsi depuis le début.»

L'universitaire connaît bien son sujet. Elle a déjà écrit deux livres sur les Clinton, dont le plus récent, paru en 2014 sous le titre Hillary Clinton in the News, explore la façon dont celle-ci a été représentée dans les médias depuis la première campagne présidentielle de son mari, en 1992.

Hillary Clinton n'est certes pas la première personnalité politique à avoir des relations difficiles avec les médias. Mais elle semble se distinguer des autres par son incapacité ou son refus de tenter un quelconque rapprochement stratégique. Certains observateurs ont d'ailleurs estimé qu'elle avait adopté un ton et une attitude encore plus condescendants que d'habitude face aux médias, mardi dernier.

«Elle ne fait pas confiance aux médias et les médias ne lui font pas confiance», a dit Shawn Parry-Giles en entrevue. «Il faut dire que certains journalistes nourrissent à son égard une hostilité et une animosité qui relèvent en partie du sexisme.»

La droite et les médias

Les supporteurs d'Hillary Clinton justifient sa méfiance envers les journalistes en rappelant les scandales montés en épingle, selon eux, par l'opposition républicaine avec la complicité des médias. Ils rangent l'«emailgate» dans cette catégorie, notant que des politiciens comme Jeb Bush ont également utilisé des comptes de courriel personnels dans le cadre de leur fonction officielle sans soulever la polémique.

«Au cours des 20 dernières années et plus, j'ai vu Whitewater, Travelgate, Filegate, Pardongate, et toutes les autres sottises inventées par la presse et la droite», a écrit la semaine dernière James Carville, ancien stratège de Bill Clinton, en énumérant des affaires impliquant l'ex-président et sa femme. «Elles ont une chose en commun: prenez-les ensemble, additionnez-les, et multipliez-les par dix, et vous aurez un tas de m...»

N'en déplaise à James Carville, la polémique entourant les courriels d'Hillary Clinton constitue un problème pour elle, selon Shawn Parry-Giles. Cette affaire tend à renforcer l'opinion des journalistes et d'une partie du public selon laquelle les Clinton aiment le secret et tentent de créer leurs propres règles. Aussi la professeure conseille-t-elle à la candidate virtuelle de remettre son serveur personnel au département d'État, qui pourra ainsi récupérer tous ses courriels, y compris ceux qui ont été supprimés.

«Elle est en politique depuis assez longtemps pour savoir que ce n'était pas sage de choisir elle-même les courriels qui devaient être supprimés, dit Shawn Parry-Giles. Elle serait probablement bien avisée de tout rendre public. Mais il y a un risque. Elle sait ce qui s'y trouve.»