Le Californien Carl Krawitt a poussé un soupir de soulagement l'an dernier en apprenant que son fils Rhett, atteint de leucémie il y a quatre ans et demi, était en rémission. Mais l'inquiétude l'a vite rattrapé.

Ce père de deux enfants vit désormais dans la crainte que son cadet, aujourd'hui âgé de 6 ans, n'attrape à son tour la rougeole. Depuis la fin de décembre, 91 personnes ont été contaminées dans son État, la Californie, par ce virus théoriquement disparu des États-Unis depuis 15 ans. Comme la plupart d'entre elles, Rhett n'a pas été vacciné. Non pas par choix, mais par nécessité: après trois ans de chimiothérapie, son système immunitaire n'est pas encore prêt à recevoir le vaccin contre la rougeole.

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Or, dans l'état où se trouve ce garçon, le virus pourrait mener à des complications graves. Aussi son père a-t-il entrepris une démarche singulière la semaine dernière pour le protéger: il a envoyé une lettre au directeur de sa commission scolaire, située dans le comté de Marin, près de San Francisco, le priant de fermer les portes de ses écoles aux enfants dont les parents refusent de les faire vacciner.

«Je respecte le droit de ces parents de ne pas faire vacciner leurs enfants. Mais ce droit ne les autorise pas à mettre en danger la vie de mon enfant en pleine épidémie de rougeole», a déclaré Carl Krawitt au cours d'un entretien téléphonique.

Le directeur de la commission scolaire n'a pas accédé à la demande du père. Mais la démarche de Carl Krawitt n'est pas passée inaperçue dans un pays qui se réveille aujourd'hui avec des cas de rougeole recensés dans 14 États, dont la plupart ont démarré en décembre dans un incubateur idéal: le parc d'attractions Disneyland, en banlieue de Los Angeles.

La démarche de Carl Krawitt a également servi à illustrer l'amorce d'un ressac contre le mouvement anti-vaccination aux États-Unis. Dans ce pays comme dans plusieurs autres en Occident, des parents refusent de faire vacciner leurs enfants pour diverses raisons, dont la crainte d'un lien entre vaccination et autisme.

Retour de la rougeole

Selon les experts, ce courant contribue aujourd'hui au retour de la rougeole aux États-Unis, où ce virus très contagieux a touché 644 personnes en 2014 (après avoir été éliminé en 2000, selon le Centre de contrôle et de prévention des maladies).

«Cela fait des années que je dis que les taux de sous-vaccination aux États-Unis, en particulier dans les milieux aisés, allaient mener à de sérieuses épidémies», a déclaré à La Presse Laurie Garrett, spécialiste des maladies infectieuses au Conseil des relations étrangères, un groupe de recherche basé à New York.

«Nous voyons une augmentation de la coqueluche aux États-Unis, où se trouve désormais la majorité des cas recensés dans le monde, et une recrudescence de la rougeole au cours des dernières années. L'épidémie actuelle est le reflet d'une tendance présente depuis un certain temps», ajoute l'experte, qui qualifie de «bidon» le lien entre vaccination et autisme.

Le comté de Marin, où vit Carl Krawitt, correspond parfaitement aux milieux aisés dont parle Laurie Garrett. C'est en fait le plus riche de la Californie en terme de revenus. Or, près de 7% des enfants du comté ont obtenu une exemption aux exigences de vaccination, souvent pour des raisons philosophiques, alors que la moyenne de l'État est de 2,5%.

«Ces raisons ne sont pas fondées sur la science, a déploré Carl Krawitt. Cela me trouble encore plus de constater cela dans un comté comme le mien, où vous avez une population à l'aise financièrement et hautement éduquée. Cela me trouble que des gens très éduqués refusent de fonder leurs décisions sur la raison et la science.»

«De toutes les percées médicales, l'immunisation est celle qui a sauvé le plus de vies», a-t-il ajouté.

Des doutes

Le comté d'Orange, près de Los Angeles, est une autre région aisée où le taux d'exemption est élevé. Dans certaines écoles maternelles, il varie de 20% à 40%. Là comme dans le comté de Marin, plusieurs parents disent vouloir élever leurs enfants de la façon la plus naturelle possible.

Et Barbara Loe Fisher continuera à défendre ce choix. La présidente du Centre national d'information sur les vaccins ne met pas seulement en doute l'efficacité du vaccin contre la rougeole, mais également la sévérité de l'épidémie actuelle.

«Les responsables de la santé publique préfèrent que les médias et le public focalisent sur une poignée de cas de rougeole à Disney World plutôt que de focaliser sur le fait que des millions d'Américains ont reçu des vaccins contre la grippe qui sont inefficaces», a-t-elle déclaré dans une vidéo diffusée sur le site de son organisation anti-vaccination.

Un tel raisonnement n'est cependant pas de nature à rassurer un père comme Carl Krawitt.