L'administration américaine pourrait bientôt être contrainte par la justice de dévoiler publiquement des centaines, voire des milliers, de photos témoignant des sévices exercés sur des détenus dans les prisons militaires américaines en Irak et en Afghanistan.

Un juge de New York a donné jusqu'à vendredi à Washington pour justifier son appréciation des risques inhérents à leur diffusion.

Le gouvernement prétend que le contenu des photos est suffisamment problématique pour mettre en danger les ressortissants américains vivant à l'étranger.

Il rejette les demandes de transparence de l'American Civil Liberties Union (ACLU), qui bataille depuis 10 ans devant les tribunaux pour les obtenir.

L'organisation pense que l'administration ne peut pas se réfugier derrière des questions de sécurité nationale pour justifier son refus. «Si on lui permet de faire ça, ce ne sont pas que les photos de mauvais traitement contre des prisonniers qui vont être censurées. Ce sera aussi l'information sur les drones, les activités de surveillance de l'État, etc.», déclare Jameel Jaffer, le juriste qui pilote le dossier pour l'ACLU.

Une première requête a été déposée en juin 2004 afin d'obtenir les photos liées à des enquêtes sur des allégations de sévices dans les prisons militaires américaines. Elle a été introduite quelques mois à peine avant la sortie dans les médias de photos provenant de la prison irakienne d'Abou Ghraib qui avaient soulevé une vague d'indignation dans le monde.

On y voyait des détenus nus empilés les uns sur les autres, d'autres terrorisés par des chiens. Des soldats américains prenaient la pose avec un air amusé sur plusieurs clichés, incluant une où l'on voyait un cadavre.

En 2006, le gouvernement a reconnu qu'elle possédait une trentaine d'autres photos pertinentes par rapport à la demande de l'ACLU provenant de «sept localités en Afghanistan et en Irak».

Ce total a été révisé sensiblement à la hausse quelques années plus tard lorsque le sénateur Joseph Lieberman a souligné que le gouvernement avait en sa possession «près de 2100 photos» en lien avec le traitement abusif allégué de détenus dans des prisons militaires américaines.

Barack Obama, à son arrivée au pouvoir en 2008, se montrait disposé à divulguer les photos, qui ont toutes été prises lorsque son prédécesseur, George W. Bush, était en poste.

Le nouveau chef d'État a cependant renversé sa position en 2009, apparemment en réponse aux mises en garde des commandants américains en poste en Irak qui s'inquiétaient des retombées. Le premier ministre irakien de l'époque, Nouri al-Maliki, aurait lui-même prévenu alors que «Bagdad brûlerait» s'il allait de l'avant.

«Troupes en danger»

Devant les médias, le président américain a alors affirmé que la diffusion des photos n'apporterait aucune information additionnelle sur ce qui a été fait «par un petit nombre d'individus».

«En fait, la conséquence la plus évidente de leur diffusion, je crois, serait d'exacerber les sentiments antiaméricains et de mettre nos troupes en grand danger», a-t-il relevé. Le Congrès a fait voter à la même époque une loi qui donnait le pouvoir au secrétaire à la Défense de bloquer pour trois ans la publication de photos susceptibles de «mettre des vies américaines en danger».

Le secrétaire à la Défense en poste, Robert Gates, a rapidement statué en ce sens, et la décision a été reconduite en 2012 par son successeur.

Jameel Jaffer note que le gouvernement s'est contenté d'évoquer la dangerosité de l'ensemble des photos sans donner plus de détails. Une généralisation jugée abusive par le tribunal new-yorkais, qui lui demande de procéder photo par photo.

Bien que les clichés suscitent un vif différend, on ne connaît que peu de choses de leur contenu. Un responsable du ministère de la Défense a indiqué anonymement il y a quelques années qu'elles avaient été prises par des soldats ou encore des enquêteurs qui recueillaient des preuves de mauvais traitements et portaient surtout sur la période allant de 2002 à 2004.

Même si l'administration a multiplié les démarches pour empêcher leur diffusion, le président Obama a déjà assuré qu'elles n'étaient «pas particulièrement sensationnelles». À l'inverse, l'ACLU s'est déjà fait dire sous le couvert de l'anonymat qu'elles sont «pires que celles d'Abou Ghraib».

M. Jaffer pense que le gouvernement aura du mal à convaincre le magistrat au dossier du risque posé par la diffusion des photos alors que la sortie la semaine dernière d'un rapport-choc sur les pratiques d'interrogatoires controversées de la CIA dans un réseau de prisons secrètes n'a pas mené à des attaques contre des intérêts américains.

Le retrait de la majeure partie des troupes américaines déployées en Irak et en Afghanistan rend par ailleurs spécieux l'évocation du risque pour les soldats du pays, conclut le juriste de l'ACLU.