Barack Obama devrait officiellement gracier son prédécesseur, George W. Bush, et les autres membres haut placés de son administration qui ont permis à la CIA de «torturer» dans des prisons secrètes des dizaines de présumés terroristes.

La suggestion émane d'un militant des droits de l'homme reconnu, Anthony Romero, qui dirige l'American civil liberties union (ACLU).

Dans une lettre ouverte parue mardi en prévision de la sortie du rapport-choc du Sénat américain sur les actions de la CIA, M. Romero expliquait que le pardon présidentiel semble désormais être la seule avenue possible pour empêcher durablement tout recours à la torture par les États-Unis.

«Des pardons indiqueraient clairement que des crimes ont été commis; que les individus qui ont autorisé et pratiqué la torture étaient effectivement des criminels: et que les architectes de toute utilisation future de la torture devraient prendre garde», explique-t-il.

Le dirigeant de l'ACLU note que le président Obama n'est pas intéressé à ce que des poursuites soient entreprises contre les responsables des abus de la CIA parce qu'il craint les «retombées politiques» qui en découleraient.

Son refus, note M. Romero, revient à accorder un pardon tacite aux responsables concernés, incluant au sein de l'administration Bush, alors qu'un pardon «explicite» enverrait un avertissement clair sur l'illégalité de la torture.

La lettre ouverte déroge à la position officielle de l'ACLU, qui demande depuis des années à l'administration Obama de désigner un procureur spécial pour faire enquête sur le programme de la CIA et les méthodes d'interrogatoire «renforcées» utilisés en vue de faire parler les prisonniers.

Le rapport de la commission du renseignement du Sénat dévoilé mardi indique que les méthodes en question n'ont permis d'obtenir aucune information utile pour contrer le terrorisme. Il relève par ailleurs, avec exemples à l'appui, qu'elles étaient beaucoup plus brutales que ne le laissait entendre l'agence de renseignement.

HRW réclame des poursuites

L'appel du dirigeant de l'ACLU est accueilli avec réserve par d'autres organisations des droits de l'homme, dont Human Rights Watch (HRW), qui demandent que justice soit faite.

L'idée d'un pardon présidentiel «semble exprimer une certaine frustration face à la difficulté de faire bouger le président Obama» sur la question des poursuites, note Laura Pitter, une spécialiste des questions de contreterrorisme de HRW qui a documenté les dérapages survenus dans les prisons secrètes de la CIA.

«Notre expérience à l'échelle internationale montre qu'on peut obtenir justice et que ça arrive de plus en plus souvent même si ça peut prendre du temps. Nous continuerons à réclamer des poursuites», a-t-elle déclaré.

Si les États-Unis refusent de cibler les responsables du programme de la CIA, d'autres pays pourraient s'en charger en vertu du principe de juridiction universelle inscrit dans la Convention contre la torture.

Amnistie internationale a prévenu hier que les déplacements futurs de membres haut placés de l'administration Bush pourraient déboucher sur des arrestations. Des plaintes à cet effet ont déjà été déposées par le passé dans certains pays, dont l'Allemagne, sans succès.

Le Center for constitutional rights, une organisation de juristes basée à New York qui représente plusieurs détenus de la prison américaine de Guantanamo, a déclaré à Bloomberg qu'elle entendait utiliser le rapport du Sénat pour pousser des pays étrangers à cibler les ex-dirigeants américains.

Les détails contenus dans le rapport du Sénat pourraient parallèlement donner du matériel inusité aux avocats qui ont tenté de poursuivre le gouvernement américain devant les tribunaux civils pour obtenir compensation pour d'anciens détenus.

Le département américain de la Justice a ouvert des enquêtes au cours des dernières années sur des cas allégués d'abus perpétrés par des agents de la CIA ou des militaires, mais la plupart sont restées sans suite. Aucun haut responsable n'a été mis en accusation.

Bien que les appels en faveur de nouvelles poursuites se multipliaient hier aux États-Unis et ailleurs, le ministère américain de la Justice a réitéré que le dossier était clos.

Dans la même veine, le président Obama a prévenu qu'il fallait éviter de jeter l'opprobre sur l'ensemble des professionnels américains du renseignement parce que «certaines actions contraires à nos valeurs» sont survenues.