Cinquante ans plus tard, et au moment même où ressurgit la fracture raciale américaine, la prédiction de Lyndon Johnson se réalise pour de bon.

«Je pense que nous venons tout juste de céder le Sud au Parti républicain pour une longue période», confia le président démocrate à son porte-parole, Bill Moyers, le soir du 2 juillet 1964. Le successeur de John Kennedy venait tout juste de promulguer la loi historique sur les droits civiques et d'appeler ses concitoyens à tarir «la source du poison raciale» dans un discours télévisé.

À l'époque, le Parti démocrate contrôlait tous les ordres de gouvernement dans les États du Sud. Y adhéraient à la quasi-unanimité les Blancs opposés au démantèlement des lois ségrégationnistes qui assuraient leur suprématie sur les Noirs depuis la fin du système esclavagiste.

Et leurs élus luttaient bec et ongles pour défendre ce racisme institutionnalisé: pas moins de 20 des 21 sénateurs démocrates du Sud votèrent contre la loi voulue par Martin Luther King et les autres apôtres de l'égalité des Noirs et des Blancs. Peu après l'adoption du Civil Rights Act, l'un de ces sénateurs, Strom Thurmond, de Caroline-du-Sud, abandonna le Parti démocrate pour rejoindre le Parti républicain, amorçant un réalignement politique régional qui vient de se compléter en Louisiane.

Samedi, au deuxième tour de l'élection sénatoriale de cet État, la démocrate Mary Landrieu a subi une défaite sans appel face au républicain Bill Cassidy. Ce revers attendu signifie que les républicains auront, à partir de janvier, la mainmise sur les postes de sénateur et de gouverneur dans tous les États du Sud profond - Louisiane, Mississippi, Alabama, Georgie et Caroline-du-Sud -, ainsi que dans trois États avoisinants - Texas, Tennessee et Caroline-du-Nord.

La suprématie politique des républicains s'étendra également aux assemblées législatives de tous les anciens États sécessionnistes, y compris l'Arkansas, la Floride et la Virginie.

Le mouvement massif des Blancs du Sud vers le Parti républicain ne tient pas seulement à la question raciale, loin de là. Les démocrates de cette région ont toujours été plus conservateurs que la moyenne des membres de leur parti. Et plusieurs d'entre eux en sont venus à ne plus se reconnaître dans les positions démocrates sur l'avortement et les armes à feu, entre autres questions de société.

Des élus de couleur

Depuis quelques années, les républicains de certains États du Sud profond se sont par ailleurs montrés disposés à voter pour des candidats de couleur.

Le 4 novembre dernier, ceux de la Caroline-du-Sud ont écrit une page d'histoire en élisant le premier sénateur noir d'un État du Sud, en l'occurrence Tim Scott. En 2010, ils avaient déjà élu Nikki Haley, une femme issue d'une famille indienne, au poste de gouverneure. Trois ans plus tôt, les républicains de Louisiane avaient également fait confiance à un fils d'immigrants indiens, Bobby Jindal, pour occuper le poste de gouverneur de leur État.

Mais ces élus de couleur ont en commun d'être des conservateurs purs et durs qui s'opposent notamment aux interventions du gouvernement fédéral pour réduire les inégalités socioéconomiques.

Ainsi, comme tous les élus républicains du Sud, ils ont refusé d'étendre à des millions de personnes à faible revenu la couverture de Medicaid, programme d'assurance-maladie public et volet clé de la loi sur la santé de Barack Obama.

La plupart des bénéficiaires de cette initiative financée à 100% par l'État fédéral pendant les trois premières années et à 90% pendant les années subséquentes auraient été des Noirs. Ils travaillent comme cuisiniers, aide-infirmières, caissières ou concierges, mais ne gagnent pas assez d'argent pour souscrire une assurance-maladie privée.

Ils doivent aujourd'hui continuer à s'en remettre à Dieu.

Un plus long mandat

En Louisiane, la sénatrice Mary Landrieu aura survécu plus longtemps que d'autres démocrates de la région en misant sur un électorat composé en grande partie d'Afro-Américains et de Cajuns dont la culture et la religion les ont longtemps mis à l'écart des protestants blancs de leur État. Mais l'élection de Barack Obama à la présidence a contribué à accélérer le mouvement de ces démocrates blancs vers le Parti républicain.

À la veille des élections de mi-mandat, Mary Landrieu avait attribué une part de ses difficultés au président, dont le nom était associé au sien dans les discours et publicités de ses adversaires républicains.

«Le Sud n'a pas toujours été l'endroit le plus amical pour les Afro-Américains», a-t-elle déclaré au journaliste Chick Todd, de la chaîne NBC.

Les républicains ont jeté les hauts cris, rejetant cette allusion à l'héritage raciste du Sud. Mais quel effet aura leur suprématie politique dans la région?

Photo: Reuters

Tim Scott