Les trois grandes chaînes de télévision américaines ABC,NBC et CBS ont choisi jeudi de ne pas diffuser en direct le discours du président Obama sur l'immigration, de quoi faire grincer des dents à la Maison-Blanche.

«Cette décision des chaînes de télévision en anglais est décevante. Mais le créneau horaire de 20h00 nous garantit une part importante de l'audience croissante des hispaniques sur Univision et Telemundo, une audience décente sur le câble et c'est l'heure idéale pour attirer l'attention des Américains sur leurs téléphones et tablettes» a déclaré le porte-parole de la Maison Blanche Josh Earnest.

«CBS News ne diffusera pas le discours ce soir», avait indiqué à l'AFP une porte-parole de la chaîne. Même son de cloche chez NBC, qui a cependant précisé que le discours serait diffusé sur sa chaîne d'information en continu MSNBC. Et ABC a aussi indiqué à l'AFP que le discours ne serait pas diffusé sur la chaîne, mais le serait «sur toutes les plates-formes numériques d'ABC News, dont Apple TV, et sur la radio» ABC.

La Maison-Blanche aurait espéré mieux pour ce discours à la nation, dans lequel le président doit annoncer une série de mesures en faveur de millions d'immigrants illégaux.

Elle a reconnu à mi-mot que des discussions informelles avec les grandes chaînes n'avaient pas abouti.

«Mais nous sommes sûrs que le discours de ce soir, parce qu'il a lieu à 20 h, recevra beaucoup d'attention de la presse écrite, des radios, sur internet et d'autres médias audiovisuels», a indiqué à l'AFP un responsable de la Maison-Blanche sous couvert d'anonymat.

Deux télévisions hispaniques, Univision et Telemundo, ont en tout cas l'intention de le diffuser en direct, tout comme CNN, MSNBC, PBS et Fox News.

Série de mesures sur les sans-papiers

Déterminé à se passer du Congrès dont il dénonce l'inaction, le président américain Barack Obama doit annoncer jeudi soir une série de mesures offrant un répit à plusieurs millions de sans-papiers menacés d'expulsion.

Un peu plus de 11 millions de personnes, dont une grande partie de Mexicains, vivent et travaillent clandestinement aux États-Unis. Depuis les régularisations massives de 1986, sous Ronald Reagan, toutes les tentatives de réforme du système d'immigration ont échoué.

M. Obama, qui avait fait de ce dossier l'une de ses priorités lors de son arrivée au pouvoir en 2009, a décidé, à deux ans de la fin de son mandat, de trancher par décrets. «Tout le monde est d'accord pour dire que notre système d'immigration ne fonctionne plus», a-t-il souligné dans une vidéo diffusée sur Facebook, promettant des mesures concrètes pour répondre à une situation qui s'est «envenimée depuis trop longtemps».

Les clandestins vivant depuis au moins cinq ans aux États-Unis et n'ayant pas d'antécédents judiciaires pourraient, sous certaines conditions, réclamer un permis de travail provisoire. Par ailleurs, le programme offrant des permis de séjour temporaires aux mineurs arrivés sur le territoire américain avant l'âge de 16 ans, dont 600 000 personnes ont déjà bénéficié, devrait être élargi.

Au total, jusqu'à cinq millions de personnes pourraient être concernées.

Si nombre de prédécesseurs de Barack Obama, démocrates comme républicains, ont utilisé leurs pouvoirs exécutifs pour accorder des régularisations à certaines catégories de sans-papiers, jamais des décisions d'une telle ampleur n'avaient été envisagées.

Les républicains dénoncent avec force une initiative en rupture avec la tradition démocratique américaine, un élu évoquant même le «diktat d'un empereur». Certains mettent en doute la constitutionnalité de ces décisions, d'autres redoutent qu'elles n'encouragent l'immigration illégale, d'autres encore réclament plus de temps pour que le Congrès se penche sur le sujet.

«Caprice du président» 

«C'est risible», répond le sénateur démocrate Robert Menendez. «C'est le même parti républicain qui refuse de bouger sur une réforme de l'immigration depuis 2006», ajoute-t-il, jugeant qu'il existe un antidote aux inquiétudes de ses adversaires politiques sur les décisions présidentielles: «Voter une loi».

Selon un sondage réalisé pour NBC/Wall Street Journal, 48% des Américains désapprouvent la démarche du président sur ce dossier, contre 38% qui y sont favorables.

La tempête politique que cette annonce a déclenchée augure mal des relations entre le Congrès et la Maison-Blanche sur les mois à venir. La donne politique vient en d'effet de changer à Washington après la large victoire des républicains lors des élections des législatives de mi-mandat. Pour le sénateur du Kentucky Mitch McConnell, qui deviendra en janvier l'homme fort du Sénat, la démarche de M. Obama revient purement et simplement à «rejeter la voix des électeurs».

Désormais majoritaires à la Chambre des représentants comme au Sénat, les républicains ne peuvent bloquer un décret présidentiel, mais ils disposent de nombreuses armes pour rendre les deux dernières années d'Obama à la Maison-Blanche difficiles.

Certains élus ont évoqué la possibilité de contester ces décisions en justice. D'autres plaident pour une trêve des confirmations d'ambassadeurs, juges et responsables de l'administration nommés par le président américain, freinant ainsi le travail de l'exécutif. C'est la voie que préconise le sénateur texan Ted Cruz, farouche opposant de Barack Obama, qui voit dans cette «amnistie illégale» un «caprice du président».

Mais ce proche du Tea Party est loin de faire l'unanimité. Et à l'approche des primaires en vue de la présidentielle de 2016, le débat s'annonce animé au sein d'un parti qui aimerait séduire une partie de l'électorat hispanique, qui a voté à plus de 70% pour Barack Obama.

Pour le New York Times, les annonces présidentielles sont d'abord une victoire «du bon sens sur la cruauté, de la force du droit sur le statu quo chaotique».

«Des années ont été perdues, un nombre incalculable de familles ont été brisées pendant que M. Obama s'accrochait à une vaine stratégie visant à essayer d'arracher un accord aux républicains», écrit le quotidien dans son éditorial. «C'est une bonne chose qu'il tourne finalement la page».

- Avec Jérôme CARTILLIER, WASHINGTON