Depuis l'époque coloniale, le rat de Norvège terrorise les New-Yorkais; ils le croisent aujourd'hui dans le métro, sur le trottoir et parfois même au restaurant. Seule une bande d'humains excentriques semblent l'apprécier, car il permet à leurs fidèles compagnons, de mignons terriers, d'honorer leur patrimoine génétique. Quels chasseurs, que ces chiens! Récit d'une chasse aux... rats, à laquelle a assisté notre journaliste.

À la queue leu leu, huit chiens font leur entrée dans un petit parc délabré du Lower East Side, sous les lueurs blanches de la pleine lune. En moins de deux, l'un d'eux débusque un rat, qui se met à zigzaguer entre leurs pattes. «Attrapez-le!», s'écrient en choeur les huit maîtres des chiens.

Hélas, les terriers laissent filer leur proie. Ils trahissent, brièvement, leur patrimoine génétique, hérité d'ancêtres anglais, écossais et irlandais qui excellaient à la chasse aux rats et autres vermines.

Après de vains reniflements dans des trous d'apparence prometteuse, les chiens sont entraînés vers leur prochaine destination: une benne à ordures abandonnée à l'intersection des rues Delancey et Ridge, quasiment sous le pont de Williamsburg.

Arrivé sur place, Richard Reynolds, chef de la bande d'humains, demande à ses compagnons à deux pattes: «Tout le monde est prêt?»

«Oui», répondent-ils en choeur. Coiffé d'une casquette Bristol, l'homme d'âge mûr se met aussitôt à brasser l'énorme poubelle métallique. Un premier rat ne tarde pas à en sortir par un trou situé dans le coin inférieur droit. Après une brève poursuite, Tanner, un Border Terrier, revient en tenant en gueule le rongeur, dont il a mis fin aux jours en le secouant vigoureusement de droite à gauche.

«Bon chien», lui dit Susan, sa maîtresse, qui refuse de donner son nom de famille pour ne pas nuire à la clinique de dermatologie pour laquelle elle travaille à Manhattan.

Une vingtaine de rats sortiront de la benne à ordures. Et même s'ils vivent très loin des campagnes anglaises ou écossaises de leurs ancêtres, les terriers de New York et du New Jersey finiront par faire honneur à leur patrimoine génétique. En moins d'une heure, ils attraperont une dizaine de rongeurs, dont un mastodonte mesurant environ 45 cm du museau au bout de la queue.

«Il faut être tous fous à lier pour faire cela», reconnaît d'emblée Richard Reynolds, membre fondateur de R.A.T.S. (The Ryders Alley Trench Fed Society), qui organise des chasses aux rats à New York depuis bientôt 20 ans. «Mais nous nous amusons, tout en permettant à nos chiens de s'adonner à une activité pour laquelle ils sont destinés», ajoute cet analyste commercial du New Jersey, accompagné de Catcher, un superbe Bedlington Terrier.

Le groupe limite généralement ses parties de chasse aux ruelles et parcs du sud de Manhattan, où les humains sont moins nombreux le soir venu. Longtemps, il a fréquenté le City Hall Park, un joyau vert au centre duquel se dresse la mairie de New York. Mais l'infestation de rats qui y sévissait semble avoir été maîtrisée.

Les terriers de R.A.T.S. auraient-ils contribué à régler ce problème? «Si nous nous concentrons sur un endroit pour une période de temps prolongée, nous avons un impact sur la population locale de rats», répond Richard Reynolds, dont le groupe a déjà tué 65 rats dans une seule partie de chasse. «Mais nous ne pouvons rien face au problème des rats à l'échelle de la ville.»

Pas plus de huit chiens peuvent participer à une même partie de chasse. Au fil des ans, aucun des chasseurs, animaux ou humains, ne s'est rendu malade en attrapant ou en manipulant des rats, dont les cadavres sont remis à une équipe de chercheurs de l'Université Fordham. «Les rats de New York sont vraiment en bonne santé», dit Susan, la maîtresse de Tanner, en faisant fi d'une étude récente selon laquelle les rongeurs locaux sont porteurs d'agents pathogènes extrêmement dangereux. «Bien sûr, mon chien a reçu tous ses vaccins et, dès que je m'aperçois qu'il a été mordu par un rat, j'applique un onguent antibiotique sur sa blessure», ajoute la résidante de Staten Island.

Serge Losach, importateur de vins raffinés, doit également se livrer à une certaine routine lorsqu'il revient dans son appartement de l'Upper West Side après une partie de chasse aux rats.

Il doit non seulement donner la douche à son chien, Hudson, un Cairn Terrier, mais également lui brosser les dents. Tout ça pour faire plaisir à sa femme, qui raffole beaucoup moins de la chasse aux rats que le petit terrier. «Hudson dort dans notre lit», précise son maître.

Nombre de rats à New York, selon Jonathan Auerbach, statisticien de l'Université Columbia.