À entendre John Cohen, ex-coordonnateur du contre-terrorisme au ministère américain de la Sécurité intérieure, Stephen Harper ferait fausse route en misant sur un élargissement des pouvoirs du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) pour lutter contre le terrorisme d'origine intérieure. De l'avis de cet expert, aujourd'hui professeur à l'Université Rutgers, les outils traditionnels du contre-terrorisme, dont le renseignement, ne sont pas conçus pour repérer et stopper les loups solitaires, comme ceux qui ont frappé le Canada cette semaine. La Presse s'est entretenue avec lui hier afin de mieux comprendre ce phénomène.

Q Peut-on quantifier la menace des loups solitaires aux États-Unis?

R Philip Mudd, ex-analyste de la CIA, s'y est essayé hier, affirmant sur CNN qu'il y avait des milliers de loups solitaires potentiels aux États-Unis. John Cohen estime que ce nombre est grandement exagéré, ce qui ne l'empêche pas de prendre le phénomène au sérieux. «Le fait que nous ne soyons pas capables de quantifier la menace la rend encore plus difficile à gérer, dit-il. Nous sommes en présence d'individus qui, pour diverses raisons, s'identifient à l'idéologie défendue par des groupes extrémistes comme l'EI, le Front al-Nosra et Al-Qaïda. Et ils s'accrochent à cette idéologie, y voyant une cause, une occasion de s'accomplir. Le problème, c'est qu'ils peuvent agir sans avoir de contacts avec ces organisations. Ils peuvent commettre leur acte de violence de façon indépendante, ce qui complique notre tâche parce que les outils traditionnels ne sont pas conçus pour identifier ce genre de menaces.»

Q Quels seraient les outils les plus appropriés pour lutter contre les loups solitaires?

R John Cohen a répondu à cette question en 2011 dans un document du ministère américain de la Sécurité intérieure. Il y préconisait une stratégie mettant l'accent sur «la force des communautés locales» pour prévenir la violence extrémiste. Il est revenu sur le sujet hier. «Nous avons besoin d'une gamme d'outils différents afin de pouvoir identifier les individus à risque qui vivent dans une communauté, que ce soit au Canada ou aux États-Unis, et les empêcher de commettre un acte de violence, a-t-il dit. Il faut mettre en place à l'échelle locale des moyens permettant aux policiers locaux de travailler plus étroitement avec les membres de la communauté, les dirigeants religieux, les professionnels de la santé mentale, les éducateurs et les parents, afin de cibler les individus dont le comportement laisse croire qu'ils se préparent peut-être à commettre un acte de violence. Le problème, c'est que ces comportements n'enfreignent pas nécessairement la loi. Mais cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de moyens susceptibles de les détourner de la violence.»

Q Comment le phénomène des loups solitaires a-t-il évolué au cours des dernières années?

R «Nous avons vu une augmentation du nombre d'attaques par des individus prédisposés à la violence, que ce soit à cause de griefs contre leurs patrons, leurs conjoints ou leurs écoles», dit John Cohen. Et ces individus se tournent de plus en plus souvent vers l'internet pour s'informer non seulement sur leur cause préférée, mais également sur la façon de perpétrer des actes violents. Qui plus est, un nombre croissant d'entre eux trouvent une inspiration dans la rhétorique et l'idéologie de groupes extrémistes comme l'EI et Al-Nosra. «Les autorités locales sont de plus en plus inquiètes du fait que l'augmentation de ce phénomène dont nous avons été témoins au cours des dernières années se poursuivra.»