L'ombre de Lac-Mégantic continue de planer sur les villes américaines traversées par des chemins de fer. Inquiètes des risques d'une tragédie similaire, elles cherchent à forcer le gouvernement fédéral à adopter des règles de sécurité plus strictes. Depuis 2008, le transport de brut par train a bondi de près de 5000%.

Lorsque la conseillère municipale de Berkeley Linda Maio a appris par hasard qu'une pétrolière s'apprêtait à faire passer 80 wagons-citernes de pétrole brut quotidiennement dans des zones habitées de sa ville, elle a décidé d'agir. «Pour nous, Lac-Mégantic a eu l'effet d'un avertissement.»

En mars, Mme Maio a fait adopter à l'unanimité au conseil de ville une motion s'opposant au projet de nouveau terminal pétrolier de Phillips 66 dans la baie de San Francisco. C'est ce projet qui accroîtrait considérablement le transit de pétrole dans Berkeley.

Ailleurs au pays, d'autres municipalités ou États ont voté des mesures pour restreindre ou mieux encadrer le transport de pétrole brut par train sur leur territoire. Mais si ces initiatives traduisent une préoccupation grandissante, le champ d'action des autorités locales est mince. Comme au Canada, les chemins de fer sont une compétence du gouvernement fédéral.

Le département des Transports des États-Unis (DOT) a bien été obligé de réagir après la tragédie ferroviaire de Lac-Mégantic, qui a fait 47 morts l'an dernier. En juillet, il a dévoilé une série de propositions préliminaires pour améliorer la sécurité du transport ferroviaire de matières dangereuses: exigences plus élevées pour les freins, diminution des limites de vitesse, particulièrement dans les zones habitées et, surtout, mise au rancart du vieux modèle de wagon-citerne DOT-111 d'ici deux ans.

Les sociétés de chemin de fer et les pétrolières ne sont pas totalement opposées à ces changements, mais préviennent que des mesures trop strictes pourraient avoir des conséquences sur la vitalité de l'économie et menacer l'indépendance énergétique des États-Unis.

Par exemple, puisque les voies ferrées sur lesquelles est transporté le pétrole des champs du Dakota-du-Nord jusqu'aux raffineries de la côte est sont bondées de trains pétroliers, une diminution de leur limite de vitesse entraînerait des délais pour tous les autres types de train de marchandises.

Les pétrolières estiment également avoir besoin de sept ans pour remplacer les vieux wagons-citernes.

«S'il est viable économiquement de transporter du pétrole par train, ce doit l'être aussi de protéger la vie des 25 millions d'Américains qui habitent dans une zone à risque, à moins d'un mille [1,6 km] d'une voie ferrée», tranche Eddie Scher, porte-parole de l'ONG californienne ForestEthics. Avec d'autres organisations environnementalistes, ForestEthics exige l'interdiction sur-le-champ des DOT-111.

Autre source d'inquiétude pour les villes et les environnementalistes: le pétrole Bakken, tiré de la fracturation hydraulique dans les champs du Dakota-du-Nord. C'est ce type de pétrole que contenaient les 72 wagons-citernes qui ont explosé dans le centre-ville de Lac-Mégantic. Il serait plus volatil et inflammable que les autres sortes de pétrole, ce que nient les pétrolières.

La semaine dernière, deux compagnies ferroviaires ont d'ailleurs demandé en douce au DOT de lever son exigence - pour l'instant temporaire - de divulguer aux autorités locales toutes les cargaisons contenant du Bakken. Le département songe plutôt à rendre permanente cette obligation.

Mais les autorités fédérales sauront-elles résister au puissant lobby des pétrolières, grandes donatrices lors des campagnes électorales? Steve Ditmayer, professeur adjoint de gestion des chemins de fer à l'Université d'État du Michigan, croit que oui. «Il y a assez d'inquiétude populaire pour les forcer à agir.»

Le département des Transports devrait adopter sa nouvelle réglementation au début de 2015.