Pour ne laisser planer aucun doute sur son sérieux, Barack Obama avait convoqué la presse dans la roseraie de la Maison-Blanche cet été, où il était apparu en compagnie de Joe Biden, le vice-président.

«Si le Congrès ne fait pas son travail, au moins, nous allons faire le nôtre», avait déclaré le président américain aux journalistes en promettant d'agir par décret, peu après la fin de l'été, pour réformer le système d'immigration obsolète de son pays.

«Onze millions d'immigrants vivent encore dans l'ombre au lieu d'avoir l'opportunité de gagner leur citoyenneté», avait-il ajouté en prônant la régularisation de la situation de plusieurs d'entre eux ainsi que le renforcement de la frontière avec le Mexique.

C'était le 30 juin. Quelques jours auparavant, les républicains de la Chambre des représentants avaient annoncé leur intention de bloquer tout vote cette année sur une réforme de l'immigration. Comme plusieurs militants de leur parti, certains d'entre eux assimilent à une «amnistie» tout projet de réforme menant à la régularisation du statut et à la naturalisation d'immigrés clandestins.

Or, samedi, Barack Obama a fait volte-face sur l'immigration, renonçant à agir dans ce dossier controversé d'ici les élections de mi-mandat, qui renouvelleront en novembre l'ensemble de la Chambre et un tiers du Sénat. Cette échéance électorale a pesé lourd dans la balance.

«La réalité, que le président a dû prendre en compte, est que nous sommes au milieu d'une saison politique, a déclaré un responsable de la Maison-Blanche sous le couvert de l'anonymat. Les républicains ont politisé de façon extrême cette question, et le président a donc estimé que l'annonce des mesures administratives avant les élections nuirait aux mesures elles-mêmes et à la perspective de long terme d'une réforme totale de l'immigration.»

Le responsable a précisé que le président avait cependant l'intention d'agir sur l'immigration «avant la fin de l'année».

La politique avant tout

Cette promesse n'a pas diminué la colère des dirigeants de groupes latinos. Arturo Carmona, directeur de Presente.org, a notamment affirmé que l'annonce de la Maison-Blanche constituait une «trahison». Selon lui, le président «démontre une fois de plus que pour lui, la politique passe avant les vies des familles latinos et immigrantes».

De leur côté, les républicains n'ont vu dans le report des mesures migratoires du président qu'une manoeuvre cynique. Selon John Boehner, président de la Chambre, la décision du président «relève de la politique à l'état pur».

Il est difficile de contredire le républicain de l'Ohio sur ce point. Au cours des dernières semaines, des élus et stratèges démocrates ont prié le président de ne prendre aucune mesure sur l'immigration avant les élections. Selon eux, une telle action risquait d'aider les républicains à mobiliser leur électorat et à prendre le contrôle du Sénat, où ils sont minoritaires.

Un décret présidentiel sur l'immigration aurait pu nuire en particulier aux sénateurs démocrates qui défendent des sièges dans des États conservateurs, dont la Caroline-du-Nord, l'Arkansas et l'Alaska.

La décision du président pourrait évidemment démotiver les électeurs latinos, qui ont joué un rôle important dans sa réélection. Mais l'État du Colorado est probablement le seul où leur abstention pourrait nuire aux démocrates à l'occasion des élections de mi-mandat.

Une deuxième fois

Chose certaine, ce n'est pas la première fois que Barack Obama déçoit les Latinos. Pendant sa première campagne présidentielle, il avait promis de réformer le système d'immigration. Mais il n'avait pas donné suite à cette promesse, choisissant plutôt de se consacrer à la réforme de la santé.

À quelques mois de l'élection présidentielle de 2012, le président avait réussi à regagner les faveurs des Latinos en mettant fin aux expulsions des clandestins âgés de moins de 30 ans et arrivés aux États-Unis avant l'âge de 16 ans, entre autres critères. Cette mesure l'avait aidé à remporter pas moins de 71% du vote latino face à son adversaire républicain, Mitt Romney.

Mais les expulsions de clandestins plus âgés ont continué à un bon rythme au cours des années suivantes. Au point où Barack Obama est devenu l'«expulseur en chef», selon l'expression adoptée par certains militants latinos, qui lui ont reproché de «déchirer les familles».

Le président s'est défendu à maintes reprises en faisant valoir qu'une réforme de l'immigration pourrait non seulement réduire le nombre des expulsions, mais également faciliter la gestion de la crise provoquée par l'afflux d'enfants arrivés illégalement aux États-Unis.

Reste à voir s'il réussira, d'ici la fin de l'année, à faire oublier à la communauté latino sa «trahison» de septembre.