La nouvelle se répand comme une traînée de poudre: O. J. Simpson a fait faux bond à la justice! Plutôt que de se rendre à la police, comme il avait promis de le faire, l'ancien footballeur-vedette devenu commentateur et acteur a pris la fuite à bord d'une Ford Bronco blanche conduite par Al Cowlings, son meilleur ami et ancien coéquipier.

Passé de veuf éploré à suspect recherché en l'espace de quatre jours, O.J. Simpson est accusé d'avoir poignardé à mort son ex-femme Nicole Brown Simpson et Ronald Goldman, un ami de celle-ci. Assis sur la banquette arrière de la Bronco, il est armé d'un revolver dont il menacerait de se servir pour se suicider. Il est aussi muni d'un passeport et d'une perruque.

Poursuite en direct

Commence alors une course-poursuite surréaliste, retransmise en direct par les hélicoptères des chaînes de télévision. Rivés à leur téléviseur, près de 95 millions d'Américains suivent la Bronco blanche d'O.J. et son cortège de voitures de police, qui roule à vitesse réduite pendant 90 minutes sur les autoroutes de Los Angeles.

Même la chaîne NBC, qui présente la finale de la NBA, ne rate rien de l'affaire, ayant décidé de réduire la diffusion du cinquième match entre les Knicks de New York et les Rockets de Houston à une portion congrue de l'écran.

«Libérez O.J.!», lancent des fans de Simpson réunis devant sa résidence de Brentwood, quartier cossu de Los Angeles, où l'ancien demi offensif des Bills de Buffalo finira par se rendre à la police.

D'autres scandent, en utilisant un des surnoms d'O.J.: «Juice! Juice! Juice!»

Demain marquera le 20e anniversaire de cette course-poursuite qui a donné en quelque sorte naissance à la téléréalité. Ce n'est sans doute pas un hasard si l'une des téléréalités les plus populaires des dernières années aux États-Unis, Keeping Up with the Kardashians, met en vedette Kim, Kourtney et Khloe Kardashian, filles de Robert Kardashian, ami et membre de l'équipe d'avocats d'O.J. Simpson.

Cette course-poursuite a également constitué le prologue du «procès du siècle», un feuilleton télévisé dont les protagonistes sont devenus célèbres, du juge Lance Ito à la procureure Marcia Clark, en passant par le témoin Kato Kaelin, et dont les thèmes - l'argent, la violence, le racisme, la justice - étaient susceptibles d'alimenter les débats les plus passionnés.

Près de 16 mois plus tard, un jury composé de neuf Noirs, deux Blancs et un Latino a rendu un verdict d'acquittement qui a révulsé une bonne partie des États-Unis et révélé une fois de plus la fracture raciale de ce pays. En 1995, pas moins de 60% des Afro-Américains estimaient que Simpson était innocent de l'accusation de double homicide qui pesait contre lui, alors que 68% des Blancs le croyaient coupable.

Les Blancs et les Noirs ont évidemment réagi de façon différente à certains aspects clés du procès, dont le parjure de Mark Fuhrman, premier détective à être arrivé sur les lieux du crime (il a prétendu ne pas avoir utilisé le mot «nigger» depuis 10 ans), et les propres aveux de la police sur la contamination de preuves et le mélange d'échantillons sanguins.

Ayant dépeint Furhman comme un raciste doublé d'un menteur et mis en cause la qualité des preuves, les avocats de Simpson ont ainsi réussi à semer le doute chez des jurés sur l'authenticité du fameux gant taché de sang découvert sur la propriété de l'accusé.

Nouveau sondage

Vingt ans plus tard, le doute s'est cependant évanoui pour bon nombre de Noirs. Selon un sondage CNN/ORC publié la semaine dernière, une majorité d'entre eux - 53% - estime désormais qu'O.J. Simpson était coupable.

Cette évolution de l'opinion chez les Noirs par rapport à Simpson tient peut-être à l'amélioration des relations raciales aux États-Unis. Il y a 20 ans, de nombreux Afro-Américains avaient un souvenir tout frais de l'affaire Rodney King, du nom de cet automobiliste noir battu brutalement par quatre policiers blancs de Los Angeles qui avaient plus tard été acquittés.

Il faut dire aussi qu'O.J. Simpson n'a rien fait depuis son acquittement au criminel pour rehausser son image. Le 3 octobre 2008, il a notamment été reconnu coupable de vol à main armée et d'enlèvement par un jury de Las Vegas.

Il a écopé d'une peine de 33 ans de prison. Et aucun de ses anciens fans ne réclame aujourd'hui sa libération.