L'histoire du sergent Bowe Bergdahl, libéré samedi après cinq ans de captivité chez les talibans afghans, commence par un mystère qui se résume à cette question: avant sa capture, ce soldat américain a-t-il déserté son unité, un crime sérieux en temps de guerre?

Enveloppée dans le brouillard de la guerre, la question risque d'exacerber les critiques de l'accord conclu par Barack Obama sur l'échange de cinq talibans détenus à Guantánamo contre le sergent Bergdahl.

Certains faits sont incontestables, dont celui-ci: trois jours avant sa disparition, à la fin du mois de juin 2009, le militaire originaire de l'Idaho exprimait dans un courriel à ses parents sa désillusion à l'égard de la mission américaine en Afghanistan et même son dégoût pour son propre pays.

«Je suis désolé pour tout ici. Ces gens ont besoin d'aide, et pourtant, tout ce qu'ils obtiennent, c'est de se faire dire par le pays le plus arrogant du monde qu'ils ne sont rien, qu'ils sont stupides», écrivait le soldat, aujourd'hui âgé de 28 ans.

«J'ai honte d'être américain. Et le titre de soldat américain n'est que le mensonge d'imbéciles. Je suis désolé pour tout. L'horreur qu'est l'Amérique me dégoûte», ajoutait-il.

Et Bob Bergdahl, son père, de répondre en lettres majuscules dans un courriel: «OBÉIS À TA CONSCIENCE!»

Le conseil n'a pas dû surprendre le jeune soldat élevé par des parents calvinistes dans une maison contenant 5000 livres, dont les ouvrages de Thomas d'Aquin et d'Augustin d'Hippone, mais aucun téléviseur.

«Les questions d'éthique et de moralité composaient la trame de nos conversations», confiait en 2012 Bob Bergdahl au magazine Rolling Stone, qui a publié les courriels cités plus haut.

Son départ de la base

Selon le magazine, la veille de sa disparition, Bowe Bergdahl a demandé à son supérieur s'il voyait un problème à ce qu'il quitte la base avec son fusil et ses lunettes de vision nocturne. Après s'être fait dire que cela poserait un problème, le soldat a quitté la base avec un couteau, une gourde d'eau, son journal et une caméra, toujours selon l'auteur de l'article du Rolling Stone, le regretté correspondant de guerre Michael Hastings.

Le lendemain, Bowe Bergdahl a été porté disparu. Depuis, le scénario de la désertion a été évoqué par au moins un membre de l'unité du soldat, qui a réclamé sur sa page Facebook son exécution pour ce crime présumé. L'intéressé a contredit cette hypothèse dans une vidéo diffusée par les talibans un mois après sa capture. Il y expliquait avoir été fait prisonnier «hors de [sa] base militaire» après avoir été «distancé par sa patrouille».

Des sources talibanes ont affirmé à l'époque que le soldat était ivre au moment d'être capturé. L'armée américaine ne s'est jamais prononcée sur ces allégations. Mais l'hypothèse de la désertion de Bowe Bergdahl fait l'objet d'un vigoureux débat sur la page Facebook du journal Army Times depuis l'annonce de la libération du sergent.

Un commentaire typique: «Je suis content pour la famille Bergdahl et ses amis, mais je suis profondément en colère contre Bowe. Cela me dégoûte de penser qu'un homme ayant tourné le dos à ses camarades, son unité et son pays sera traité comme un héros ou un saint.»

Le père de Bowe Bergdahl aura peut-être contribué lui-même à remonter des Américains contre son fils. Accompagné de sa femme Jani et du président Obama, il s'est adressé à lui en pachtoune, une des langues parlées en Afghanistan.

«Je suis ton père, Bowe», a déclaré samedi Bob Bergdahl dans la roseraie de la Maison-Blanche, précisant qu'il n'était pas sûr si son fils pouvait encore parler l'anglais.

Ces détails semblent tirés de la série télévisée américaine Homeland, dont les premières saisons racontaient l'histoire d'un marine capturé par Al-Qaïda et dont les allégeances sont mises en cause à son retour aux États-Unis, huit ans plus tard. Ils influenceront sans doute le débat sur le bien-fondé de l'échange ayant mené à la libération du sergent Bergdahl.

Critique des républicains

Dimanche, des républicains ont continué à critiquer cet échange, reprochant notamment à l'administration Obama d'avoir créé un précédent «en négociant avec des terroristes».

«Les conditions de cet échange sont très troublantes», a déclaré sur ABC le sénateur du Texas Ted Cruz en faisant allusion au transfert des cinq détenus talibans vers le Qatar. «Avons-nous mis un prix sur d'autres soldats américains?»

Susan Rice, conseillère de la Maison-Blanche pour la sécurité nationale, a défendu l'opération réalisée sous le parrainage de l'émirat du golfe Persique.

«Le sergent Bergdahl n'était pas qu'un simple otage, il était un prisonnier de guerre capturé sur le champ de bataille», a-t-elle dit sur CNN. «Peu importe qui détient un prisonnier de guerre américain, nous devons faire de notre mieux pour le rapatrier.»

Le dernier mot de cette étrange histoire n'a évidemment pas encore été dit.

Archives AFP

Bowe Bergdahl