Pendant près de deux semaines, Cliven Bundy, un fermier du Nevada éternellement coiffé d'un chapeau de cowboy, aura été le héros des tenants d'une certaine droite américaine, incarnant avec entêtement leur hostilité à l'égard d'un gouvernement fédéral qui abuse de ses pouvoirs.

Âgé de 67 ans, cet éleveur ne comptait pas seulement des partisans parmi les membres de milices de la droite radicale, qui ont pris les armes pour défendre sa cause. Il jouissait également de l'appui bruyant de Sean Hannity, animateur populaire de la chaîne Fox News, et de certaines vedettes montantes du Parti républicain, dont les sénateurs Rand Paul et Ted Cruz, deux candidats pressentis à l'élection présidentielle de 2016.

C'était avant que le «héros» ne se mette à disserter en public sur les «nègres» et les bienfaits de la culture du coton à l'époque de l'esclavage. Depuis, c'est le sauve-qui-peut parmi ses admirateurs les plus prestigieux qui, la veille ou l'avant-veille, le qualifiaient de «patriote». Et ses détracteurs se réjouissent en observant sa chute aussi soudaine que spectaculaire.

En guerre contre l'État

Mais la cause qui avait contribué à la montée de Cliven Bundy n'est toujours pas réglée. Quelle est-elle?

Cliven Bundy fait paître quelque 900 têtes de bétail sur des terres appartenant à l'État fédéral. Or, depuis 1993, il refuse de payer les droits de pâturage au Bureau de la gestion des terres pour ses bêtes, comme le font les autres éleveurs du Nevada et des autres États de l'Ouest américain.

Son refus remonte à la décision de l'agence fédérale de désigner les terres en question comme habitat protégé pour la tortue du désert, une espèce menacée. Décision qui obligeait l'éleveur à réduire le nombre de têtes de bétail y broutant.

Vingt et un ans plus tard, Cliven Bundy doit 1,1 million de dollars au gouvernement fédéral. Et, après un très long combat judiciaire, des agents fédéraux ont été déployés le 5 avril pour saisir les animaux de l'éleveur. Mais, le 12 avril, craignant une effusion de sang, ils ont abandonné leur mission et relâché 380 têtes de bétail après l'arrivée de manifestants de tous âges et de miliciens armés.

Entre le déploiement et le retrait des officiers fédéraux, Sean Hannity a transformé sur Fox News l'affaire Bundy en feuilleton quotidien, la présentant comme l'exemple parfait d'un État fédéral qui bafoue les droits des citoyens ordinaires. Outre les sénateurs Paul et Cruz, le gouverneur républicain du Texas Rick Perry a également affirmé que l'affrontement du Nevada soulevait des questions importantes sur le pouvoir du gouvernement fédéral.

Cliven Bundy n'avait évidemment pas que des partisans. Et parmi ses détracteurs, le sénateur démocrate du Nevada Harry Reid a été le plus cinglant, utilisant l'expression «terroristes locaux» pour décrire l'éleveur et ses amis armés. D'autres ont traité le fermier de «parasite».

Les pieds dans le plat

Qu'à cela ne tienne, Cliven Bundy a crié victoire sur l'État fédéral et s'est mis à pontifier quotidiennement devant l'entrée de son ranch, où se rassemblaient partisans et journalistes. Mais le New York Times a compromis sa réputation en citant ses propos racistes dans son numéro de jeudi.

«Je veux vous dire encore une autre chose sur les nègres», a-t-il dit avant d'enfiler ces perles: «Ils avortent leurs jeunes enfants, ils mettent en prison leurs hommes, parce qu'ils n'ont pas appris à ramasser le coton. Et je me suis souvent demandé: n'étaient-ils pas mieux avant comme esclaves, à ramasser le coton, avec une vie familiale et faisant des choses? Ou sont-ils mieux maintenant avec les subventions du gouvernement? Ils n'ont pas plus de liberté. Ils ont moins de liberté.»

Le sénateur Paul a été l'un des premiers à dénoncer les déclarations «offensantes» de l'éleveur. Sean Hannity n'a pas non plus tardé à les qualifier de «répugnantes». Et ainsi de suite.

Hier matin, sur CNN, Cliven Bundy s'est défendu d'être raciste. «Je ne voulais pas les offenser», a-t-il dit.

Mais le mal était fait, et la droite respectable ne peut plus mettre l'éleveur du Nevada au rang des héros ou des patriotes. Ce qui ne signifie pas que celui-ci abandonnera son combat contre l'État fédéral.

«J'irai jusqu'à la Cour suprême s'il le faut», a-t-il dit sur CNN.

Le Bureau de la gestion des terres a indiqué qu'il envisageait «d'autres options administratives et judiciaires» pour régler le dossier.

En chiffres

1,1 million

La somme due par Cliven Bundy au gouvernement fédéral

900

Nombre de têtes de bétail appartenant à Cliven Bundy

85%

Pourcentage du territoire du Nevada qui appartient au gouvernement fédéral