Au premier abord, Teresa Gomez n'était pas la plus crédible des témoins. Pour assouvir sa dépendance au crack et payer son loyer, elle se prostituait dans les rues de Crown Heights, un quartier de Brooklyn. Mais elle avait le don d'aider Louis Scarcella à nourrir sa légende de superflic.

Dans au moins six affaires de meurtre différentes confiées au détective du NYPD, l'immigrée antillaise a servi de témoin à charge, contribuant à envoyer trois hommes en prison. L'un d'entre eux, Alvena Jennette, a passé 21 ans derrière les barreaux avant d'être libéré en 2007. Or, la semaine dernière, le nouveau procureur de Brooklyn, Kenneth Thompson, a dévoilé l'existence de notes policières disculpant vraisemblablement le New-Yorkais de 50 ans.

Et le nom d'Alvena Jennette pourrait bientôt s'ajouter à la liste croissante des innocents que Louis Scarcella est soupçonné d'avoir fait condamner à l'aide de faux témoignages et d'aveux inventés, entre autres méthodes de ripoux. L'affaire déstabilise la justice new-yorkaise depuis plusieurs mois, mais elle est encore loin d'avoir connu son épilogue.

«C'est merveilleux que le bureau du procureur ait dévoilé ce matériel, a déclaré à La Presse Pierre Sussman, un avocat du Bronx qui représente Alvena Jennette. Mais je ne peux pas m'empêcher de penser: «Holy cow! Combien de documents semblables y a-t-il dans ces autres affaires de meurtre et qui n'ont pas encore été dévoilés pour des raisons politiques?»»

50 cas sous la loupe

La question n'a rien de théorique. En juin 2013, Charles Hynes, alors procureur de Brooklyn, a chargé un groupe de juristes de réexaminer quelque 50 enquêtes pour meurtre menées par Louis Scarcella, l'un des détectives les plus réputés du NYPD, et qui ont conduit à des verdicts de culpabilité.

Pierre Sussman a contribué à lever le voile sur les méthodes de Scarcella en obtenant, il y a un peu plus d'un an, la libération de David Ranta, condamné en 1991 à 37 années et demie de prison pour le meurtre d'un rabbin, juif orthodoxe de Brooklyn. Dans le cadre de son enquête, le détective avait convaincu deux dangereux criminels d'incriminer Ranta, un imprimeur au chômage, en échange d'une sortie de prison au cours de laquelle il leur a permis de fumer du crack et de visiter des prostituées.

Le détective a également témoigné qu'il avait recueilli les aveux de Ranta, ce que celui-ci a toujours nié. En février, la Ville de New York a versé 6,4 millions de dollars américains à Ranta à la suite d'un accord à l'amiable.

Selon Pierre Sussman, les cas de David Ranta et d'Alvena Jennette sont emblématiques du travail de Scarcella, qui a pris sa retraite en 1999.

«Vous avez deux affaires de meurtre où il ne se passe rien pendant plusieurs mois - dans le cas de Jennette, on parle de deux ans - et qui se règlent dès que Scarcella met la main dessus», a raconté l'avocat du Bronx lors d'un entretien téléphonique. «Il est capable de produire les témoins dont il a besoin, souvent des pauvres accros au crack qui diront tout ce qu'il veut leur faire dire. À d'autres moments, il fabrique des aveux et les fait passer verbatim pour ceux des suspects. Il ne reculait devant rien.»

Louis Scarcella, aujourd'hui âgé de 62 ans, nie avec force avoir trafiqué des enquêtes. «Je n'aurais pas pu m'asseoir avec ma famille au cours des 30, 40 dernières années si j'avais causé du tort à un individu», a-t-il déclaré l'an dernier au New York Times, dont les articles sur le travail douteux du détective ont forcé le procureur de Brooklyn à intervenir.

Reste que Louis Scarcella s'est déjà vanté de ne pas respecter les règles.

«Y a-t-il des règles dans les cas de meurtre?», a-t-il demandé en 2007 lors d'une apparition à l'émission Dr. Phil, où il était invité à parler de faux aveux. «Non. Non, il n'y en a pas. Je leur mens. J'emploie des subterfuges. Les bandits ne respectent pas les règles quand ils tuent maman et papa, leur tirent une balle dans la tête et ruinent la vie de leur famille. Je ne respecte pas les règles.»

Pierre Sussman estime que les méthodes de Louis Scarcella étaient le reflet du climat qui régnait dans les rues de New York dans les années 80 et 90.

«La criminalité était tellement élevée, il y avait tellement de violence que les procureurs, les juges et les jurys acceptaient des preuves qui seraient inacceptables aujourd'hui. Des hommes ont été traités injustement», a déclaré l'avocat, dont cinq clients, condamnés pour meurtre après une enquête de Louis Scarcella, clament leur innocence.

Certains d'entre eux sont toujours en prison.