Les affiches brandies par les manifestants rappelaient l'iconographie officielle de la première campagne présidentielle de Barack Obama. Mais le visage sévère du président qu'on y voyait n'inspirait pas la confiance, pas plus que le message qu'on y lisait: «Obama, arrête les expulsions.»

C'était mercredi matin, devant le 26, Federal Plaza, siège des services américains de l'immigration à New York. Des militants de la communauté hispanophone s'y étaient donné rendez-vous pour dénoncer le nombre record d'expulsions de clandestins sous l'administration Obama, qui se rapproche du seuil symbolique de deux millions.

«Nous sommes ici avec l'espoir de faire changer la trajectoire actuelle, car, en toute sincérité, le président Obama et le Parti démocrate ont un problème latino, a déclaré Monica Novoa, organisatrice de la manifestation. Cette question touche nos gens énormément.»

Des manifestations semblables se sont déroulées le même jour dans cinq autres villes américaines, de Boston à San Diego en passant par Houston. Organisées par le groupe Presente.org, elles s'inscrivaient dans une campagne baptisée «Obama Legacy Project», qui vise à attirer l'attention des électeurs sur l'héritage problématique que le président démocrate risque de laisser en matière d'immigration. Elles devraient être suivies le mois prochain par une série de grèves de la faim devant la Maison-Blanche.

«L'expulseur en chef»

Janet Murguia, présidente du National Council of La Raza (NCLR), principale organisation de défense de la communauté hispanique aux États-Unis, a donné le ton à cette campagne au début du mois en qualifiant Barack Obama d'«expulseur en chef».

«Il peut arrêter de déchirer les familles. Il peut arrêter de jeter communautés et entreprises dans le chaos. Il peut arrêter de fermer les yeux sur le tort causé. Il a le pouvoir d'arrêter ça», a-t-elle déclaré lors d'un discours à Washington.

Ces mots ont eu d'autant plus de retentissement que la Maison-Blanche a des liens solides avec le NCRL. Mais ils illustrent la frustration de plusieurs représentants de la communauté hispanique à l'égard d'un président, dont les promesses répétées de réformer l'immigration sont restées lettre morte.

L'approche de Janet Murguia ne fait cependant pas l'unanimité parmi les partisans d'une telle réforme. «Je critique vivement le fait que des familles soient déchirées en ce moment. Mais il n'y aucun doute dans mon esprit que les républicains de la Chambre des représentants sont responsables du blocage de la réforme de l'immigration», a déclaré à La Presse David Leopold, ex-président de l'Association des avocats américains en immigration.

«Ces expulsions auraient cessé il y a plusieurs mois si la Chambre avait tenu un vote sur le projet de loi du Sénat», a-t-il ajouté.

Non à une «amnistie»

Adopté en juin 2013, le texte du Sénat offre aux 11,5 millions de clandestins aux États-Unis, en majorité mexicains, la possibilité de régulariser leur situation en échange du paiement de milliers de dollars d'amendes et d'arriérés d'impôts. Parallèlement à cette régularisation massive, le projet prévoit un renforcement exceptionnel des mesures de sécurité à la frontière avec le Mexique.

Mais plusieurs républicains de la Chambre s'opposent à une telle réforme, y voyant une amnistie pure et simple. Ils mettent également en doute le titre d'«expulseur en chef» conféré par des militants latinos à Barack Obama. L'un de leurs collègues du Sénat s'est fait le porte-parole de ce point de vue cette semaine.

«Les données révèlent que l'administration n'applique pas la loi fédérale», a dénoncé le sénateur d'Alabama Jeff Sessions, soulignant que 98% des 468 644 clandestins expulsés en 2013 avaient un dossier judiciaire, ont été arrêtés à la frontière ou avaient déjà été expulsés.

Presque tous les autres clandestins «peuvent vivre ici illégalement, travailler et revendiquer des avantages du moment qu'ils ne sont pas surpris en train de commettre un crime sérieux», a ajouté le républicain.

Un pouvoir discrétionnaire

À l'approche des élections de mi-mandat, Barack Obama est beaucoup plus sensible aux pressions de la communauté hispanophone qu'aux critiques des républicains purs et durs. Il y a deux semaines, il a d'ailleurs chargé son administration de réfléchir à la façon de conduire les expulsions de clandestins «avec plus d'humanité».

«Son pouvoir discrétionnaire est très étendu, a déclaré à La Presse Hiroshi Motoruma, professeur de droit à l'Université de Californie à Los Angeles. Ce pouvoir est cependant susceptible d'atteindre une limite politique avant d'atteindre une limite juridique.»

En juin 2012, à quelques mois de l'élection présidentielle, Barack Obama avait réagi à un tollé semblable chez les Latinos en annonçant la fin des expulsions des jeunes de moins de 30 ans arrivés sur le territoire américain avant l'âge de 16 ans, scolarisés ou ayant obtenu leur baccalauréat et n'ayant aucun antécédent judiciaire.

La mesure avait ravi les électeurs hispanophones, qui avaient voté massivement pour le président sortant cinq mois plus tard.

D'ici le scrutin du mois de novembre, Barack Obama pourrait tenter le même coup en annonçant, par exemple, un moratoire sur les expulsions des clandestins ayant commis des infractions mineures. Mais il n'est pas dit qu'une telle mesure serait appliquée sur le terrain.

«Il y a plusieurs agents fédéraux, de même que plusieurs policiers locaux, qui ignorent les directives du président en matière d'expulsion, dit Hiroshi Motomura. Le système d'expulsion fait l'objet de pressions auxquelles le président n'est pas le seul à répondre.»