Il n'y a pas de photographe dans la salle d'audience du centre de détention de Guantánamo. Les seules images qui nous parviennent sont celles des dessinateurs du tribunal, comme Janet Hamlin. Depuis 2006, cette artiste assiste - pour l'agence Associated Press - aux comparutions des détenus. À la fin de 2013, elle a publié Sketching Guantanamo (éditions Fantagraphics), qui rassemble certains des croquis marquant de cette salle d'audience pas comme les autres. Nous l'avons jointe cette semaine à New York pour qu'elle nous décrive certaines de ses oeuvres.

Les familles des victimes

5 mai 2012

Des membres des familles de victimes des attentats du 11 septembre 2001 assistent aux audiences. Chaque fois, Janet Hamlin doit obtenir leur permission avant de les dessiner.

Pour quelles raisons les gens acceptent-ils ou non que vous les dessiniez?

Je comprends pourquoi certaines personnes souhaitent préserver leur intimité. Il s'agit d'un moment difficile, et elles préfèrent le vivre en privé. D'autres acceptent que je les dessine, ils veulent qu'on sache qu'ils sont là et acceptent de donner des entrevues. [...] Un reporter rapporte les faits pour que les lecteurs puissent se faire une opinion. Quand je dessine, j'essaie de faire la même chose. Mes dessins ne sont pas dénués d'émotion, mais je ne veux pas amplifier ces émotions pour ne pas tomber dans la fiction. Je suis une artiste-journaliste qui transmet aux gens exactement ce que je vois. Parfois c'est émouvant, frustrant, surprenant.

La prière des détenus

5 mai 2012


Des détenus profitent d'une pause lors de leur comparution pour prier, sous l'oeil des soldats américains. À leur tête, Khalid Cheikh Mohammed, le cerveau présumé des attentats de septembre 2001, qui ont fait près de 3000 morts.

La scène est presque surréaliste... Comment ça s'est passé?

J'ai dû en faire un croquis rapide parce qu'ils bougeaient beaucoup. Parfois, c'est pendant ces pauses à la cour qu'il se passe les choses les plus intéressantes. J'ai aussi appris que ces croquis rapides ont autant, parfois même plus d'intérêt que les dessins que j'ai le temps de peaufiner.

Illustration Janet Hamlin

Tabitha Speer face à Omar Khadr

Octobre 2010


Le Canadien Omar Khadr, 24 ans, a son procès. Il plaide coupable à cinq chefs d'accusation, dont celui d'avoir lancé la grenade qui a tué le sergent américain Chris Speer en 2002. Ce jour-là, il fait face à la veuve de M. Speer, Tabitha.

Le procès d'Omar Khadr a suscité énormément d'attention. Dans quelles conditions avez-vous travaillé?

On m'avait dit que je ne pouvais pas parler à Tabitha Speer. Évidemment, tout le monde voulait la voir, sa présence en cour était un événement. Mais on m'avait interdit de la dessiner. Je suis allée voir la femme qui l'escortait et lui ai demandé: est-ce que Mme Speer accepterait que je la dessine lorsqu'elle témoignera? Elle était là, et a dit à son escorte qu'elle acceptait. Il faut donc prendre le temps de gagner la confiance des gens.

Illustration Janet Hamlin

Omar Khadr sur vidéo

26 octobre 2010


Le visage enfoui dans ses mains, Omar Khadr assiste à la projection d'une vidéo qui le montre, à l'âge de 15 ans, en train de fabriquer une mine terrestre.

Au fil des ans, vous avez vu plusieurs fois Omar Khadr en salle d'audience.

J'ai vu grandir Omar Khadr, en quelque sorte. [...] Parfois, il semblait intéressé, parfois il semblait s'ennuyer. À son procès, on l'a vu se lever, s'excuser, ou réagir lorsqu'on a présenté une vidéo de lui qui lançait une bombe. On doit se demander: son comportement était-il inné ou acquis? Il a été élevé par un père qui était dans Al-Qaïda. Et comment prouver hors de tout doute que c'est vraiment lui qui a lancé cette grenade, même s'il a admis l'avoir fait?

Illustration Janet Hamlin

Khalid Cheikh

5 juin 2008


Khalid Cheikh Mohammed, le «cerveau» présumé des attentats de 2001, lors de sa comparution avec Walid bin Attash, et toujours en attente du début de son procès. Il est représenté ici avec son «deuxième nez»...

Ce dessin avait causé une commotion parce que Khalid Cheikh Mohammed n'aimait pas le nez que vous lui aviez dessiné et avait refusé votre dessin, demandant à ce que vous le refassiez...

Quand je l'ai dessiné, j'étais à l'arrière de la salle et je le voyais en tout petit. J'étais nerveuse, je travaillais vite, et je ne me suis pas rendu compte immédiatement que mon dessin n'était pas bon. Je n'ai jamais pensé que ce dessin allait causer une telle réaction [...] Mais, je l'admets, le deuxième dessin est meilleur, plus représentatif de la réalité. S'il avait critiqué le dessin par vanité, pour que je lui fasse un nez différent de la réalité, j'aurais refusé. Mais ce n'était pas le cas: c'était un mauvais dessin!

Illustration Janet Hamlin