L'opéra est souvent considéré comme un plaisir réservé aux élites en tenue de soirée, mais une nouvelle production présentée en première mondiale à New York fait mentir cette réputation : elle est inspirée d'un viol collectif au Pakistan qui avait défrayé la chronique.

«Thumbprint», une production de 150 000 $ jouée dans un théâtre en sous-sol à Manhattan, s'est inspiré de l'histoire de Mukhtar Mai, violée sur ordre du conseil de son village en 2002, pour laver un «crime d'honneur» attribué à un frère de 12 ans.

Brisant le silence, la jeune femme avait poursuivi ses agresseurs, et est devenue militante internationale des droits des femmes.

L'histoire n'a rien de la pompe des opéras traditionnels, et la critique du New York Times a estimé qu'elle n'était «pas suffisante» pour un opéra. Mais la musique est un attirant mélange de musique occidentale et d'Asie du Sud, et la production très innovante.

Avec une simple toile de fond, quelques chaises et lits de sieste, la mise en scène simple mais puissante, évoque la chaleur, la poussière et les traditions d'un village pakistanais.

Mukhtar Mai, alors âgée de 30 ans, avait été violée pour venger l'outrage commis par son frère de 12 ans, qui avait parlé à une femme d'un clan adverse.

Ode au courage

Six hommes avaient été condamnés à mort pour son viol, dans une décision de justice qui avait fait grand bruit. Mais cinq ont été ensuite acquittés, et le principal accusé a vu sa condamnation commuée en prison à vie : des développements que ne mentionne pas l'opéra.

L'histoire a encore résonné l'an dernier, avec le viol collectif brutal d'une étudiante indienne dans un bus de New Delhi, qui a suscité une dénonciation internationale des violences contre les femmes en Inde.

«C'est inspirant», a expliqué à l'AFP la compositrice indo-américaine Kamala Sankaram, qui chante aussi le rôle principal.

«C'est une personne complètement illettrée, qui ne connaissait rien de se droits et des lois de son pays. Et pourtant, elle a eu le courage de se battre», a-t-elle ajouté.

Le viol n'est pas mis en scène, remplacé par des cris assourdis de terreur, en alternance avec un couteau qui déchire des sacs de sable.

Kamala Sankaram a travaillé pour recréer le monde de la jeune femme en combinant musique locale, composition occidentale, qawwalî (genre musical populaire en Inde et au Pakistan) et Bollywood.

«Je suis une joueuse de sitar et une musicienne occidentale, et je voulais inclure des éléments de culture traditionnelle, tout en créant quelque chose d'acceptable pour des oreilles occidentales», a-t-elle expliqué.

Le Pakistan est peut-être à des milliers de kilomètres de New York, mais l'auteure Susan Yankowitz, qui a écrit le livret, estime que l'opéra traite du courage et de la vulnérabilité universelle des femmes.

«La question principale, qui revient tout au long de l'opéra, est "où avez-vous trouvé le courage?"», dit-elle à l'AFP. «Dans une saison sèche, quelqu'un doit être la première goutte de pluie».

«Le courage, c'est d'être la première goutte de pluie, et j'espère que c'est ce que retiendront les gens. Et que cela les inspirera pour faire quelque chose qu'ils n'auraient autrement pas eu le courage d'entreprendre».

Comparée à la majesté des productions du Metropolitan Opera de New York, «Thumbprint» est minuscule, avec un orchestre de chambre de six personnes, et seulement six chanteurs.

Kamala Sankaram n'a pas réussi à trouver un joueur de sarangi, et la partition a été écrite pour flûte, violon, violon alto, piano (avec un harmonium sur le côté), violoncelle et percussions.

La plupart des chanteurs jouent plus d'un rôle.

«Thumbprint» est présentée huit soirs jusqu'à samedi au centre des Arts de l'Université Baruch, dans le cadre d'un petit festival d'opéra de musique de chambre organisé pour la deuxième année.

Les tickets sont vendus 25 $.

Ses créateurs espèrent pouvoir un jour la présenter en Inde et au Pakistan.