Les cris de victoire poussés à la mort d'Oussama ben Laden étaient prématurés et Al-Qaïda, à la faveur notamment de la guerre en Syrie, est aujourd'hui plus forte et dangereuse que jamais, estiment experts et officiels aux États-Unis.

Et si les dirigeants historiques qui ont survécu à la campagne d'élimination ciblée menée par Washington à coups de missiles tirés par des drones continuent à être traqués sans relâche dans la zone pakistano-afghane, le mouvement s'est renforcé, a fait des émules au Moyen-Orient et en Afrique et continue de menacer l'Europe et l'Amérique, assurent-ils.

Pour le général des Marines à la retraite James Mattis, qui a commandé de 2010 à 2013 le Commandement Central de l'US Army, en charge notamment du Moyen-Orient et de l'Asie du Sud-Est, «les félicitations qui avaient été échangées il y a deux ans à la suite de l'annonce de la mort d'Al-Qaïda étaient prématurées et sont aujourd'hui discréditées».

Intervenant lors d'un colloque organisé par le groupe de réflexion Jamestown, il a ajouté: «Al-Qaïda est résiliente, elle s'adapte. Ses dirigeants ont été frappés très dur, mais le mouvement est toujours en expansion. Il profite d'un nombre croissant de sanctuaires».

En 2011, dans l'euphorie de l'élimination de ben Laden par un commando de Navy Seals au Pakistan, l'une des questions qui avaient été traitées lors du même séminaire était: quand et comment crier victoire contre Al-Qaïda? Aujourd'hui, officiels et spécialistes rivalisent de pessimisme.

Interrogée début décembre la sénatrice Diane Feinstein, présidente de la commission du Renseignement au Sénat, avait déclaré: «Le terrorisme est en hausse dans le monde. Les statistiques le montrent, le nombre de victimes augmente. Il y a plus de groupes, plus radicaux, davantage de jihadistes déterminés à tuer pour atteindre leurs objectifs».

Pour l'expert Bruce Hoffman, de l'université de Georgetown, «l'oxygène qui alimente Al-Qaïda est son accès à des sanctuaires et des zones où elle peut opérer. Et malheureusement au cours des deux dernières années elle a été capable de s'installer dans de nombreux espaces non gouvernés, le long de frontières contestées ou dans des pays difficiles à contrôler».

«Expansion phénoménale»

La guerre civile en cours en Syrie est pour le mouvement jihadiste international une aubaine comme il n'en avait pas bénéficié depuis l'insurrection anti-soviétique en Afghanistan, ont estimé les intervenants au colloque.

«Les groupes affiliés à Al-Qaïda ont créé en Syrie une alliance disposant d'au moins 45 000 combattants, soit le double du nombre de combattants taliban en Afghanistan» a affirmé l'Australien David Kilcullen, spécialiste des mouvements insurrectionnels, qui a notamment conseillé le commandement américain en Irak. «Al-Qaïda se renforce sur tous les fronts. Sa direction a été affaiblie, mais pas éliminée».

La présence dans les rangs des islamistes radicaux en Syrie de centaines de volontaires venus d'Europe ou d'autres pays occidentaux, où certains vont retourner aguerris, est un sujet majeur d'inquiétude.

«Avec l'entraînement qu'ils acquièrent en Syrie il y a une forte possibilité qu'au cours des deux prochaines années ils soient en mesure d'accomplir le dernier voeux d'Oussama ben Laden, qui était de monter une attaque du genre de celle de Mumbai en Europe» ajoute Bruce Hoffman.

Un autre facteur de renforcement du mouvement jihadiste est le tour récent qu'ont pris les événements dans les pays du printemps arabe.

«Les thèses d'Al-Qaïda avaient été mises en cause par le printemps arabe» explique Bruce Riedel, ancien membre influent de la CIA, aujourd'hui membre de la Brookings Institution. «Le changement n'avait pas été apporté par la terreur, mais par Twitter. Mais aujourd'hui tout a changé. Les thèses d'Al-Qaïda ont été validées en 2013, notamment en Égypte. La contre-révolution l'a emporté, l'armée a renversé le gouvernement élu (...) Pour ceux qui veulent rejoindre le mouvement jihadiste les événements au Caire et à Damas valident ce qu'ils ont toujours dit: seul le jihad est la solution aux problèmes du changement dans le monde arabe aujourd'hui».

«L'expansion d'Al-Qaïda à laquelle nous assistons dans le monde arabe est vraiment phénoménale, supérieure à ce que nous avons vu au cours de la première décennie de son existence» a-t-il conclu.