Les preuves étaient rangées dans le sous-sol du service de police de la ville de Robbins, en Illinois: des sacs en papier brun remplis de sneakers, de soutiens-gorges et de sous-vêtements, entassés sur des tablettes en métal. Des flacons de sang et des tampons couverts de poussière et de moisissure éparpillés un peu partout, étrange collection amorcée il y a plus de 25 ans.

Cara Smith, une adjointe du shérif du comté de Cook, a tout de suite su que quelque chose n'allait pas quand elle est tombée sur ce fouillis, qui comprenait aussi 176 trousses de prélèvements pour les cas de viols remontant à 1986. Plusieurs de ces crimes avaient été oubliés depuis longtemps, sauf par les victimes.

Mme Smith a commencé à examiner ces dossiers et est finalement arrivée à une conclusion troublante: pour la plupart ces viols, la police de la ville de Robbins avait fait peu ou pas de suivi, et ce, même si elle avait entre les mains les résultats d'analyses effectuées en laboratoire. Dans près d'un tiers des cas, les policiers n'avaient même pas fait analyser les preuves matérielles dont ils disposaient.

Ces découvertes ont soulevé une question importante: est-il possible de redresser les torts commis dans ces dossiers dont certains avaient été ouverts il y a une génération?

Le bureau du shérif du comté de Cook s'est donné pour mission de fournir une réponse. Cara Smith et des enquêteurs ont passé une bonne partie de la dernière année à relire les dossiers, à fouiller dans les archives, à interviewer les victimes et à essayer de remettre de l'ordre dans les pièces de ces casse-tête même lorsqu'il manque des éléments essentiels.

Ils ont vécu beaucoup de frustration et été confrontés à bien des obstacles en cours de route.

Dans de nombreux dossiers, aucune accusation ne peut être déposée parce que le délai de prescription est terminé. Selon Mme Smith, l'un des cas les plus enrageants est celui d'un homme ayant été récemment interrogé par les investigateurs qui est soupçonné d'avoir violé une adolescente de Robbins il y a plus de 20 ans.

Elle a ajouté qu'il y avait de l'espoir pour des dizaines d'autres dossiers, dont la quasi-totalité contient des preuves liées à l'ADN.

Le bureau du shérif compte faire part de ses progrès au début de l'année prochaine et a de nouveau invité les victimes a communiquer avec la police. Mais même si les enquêteurs réussissent à élucider des crimes, leur succès demeurera limité.

«Nous avons réalisé que nous aurions de grandes déceptions, admet Cara Smith. La justice est un drôle de mot lorsqu'il s'agit d'agressions sexuelles. Le crime ne s'efface pas et les victimes ne peuvent oublier. L'attention que nous portons à ces cas, le fait que quelqu'un s'y intéresse et croit leur histoire, c'est peut-être la seule justice que ces femmes obtiendront.»

Est-ce que cela veut dire que certains violeurs ne paieront pas pour leur crime?

«Ça, c'est sûr, affirme Mme Smith. Je connais leurs noms.»

Située au sud de Chicago, Robbins est une petite ville avec de gros problèmes. Elle a été fondée au cours de la première vague de la grande migration des Afro-Américains du sud des États-Unis vers le nord. La criminalité, la corruption et la pauvreté se sont développés avec la municipalité.

Aujourd'hui, les quelque 5400 résidants peinent à joindre les deux bouts dans une ville avec peu de ressources et beaucoup de maisons abandonnées et de terrains vagues. Le revenu annuel moyen des ménages de Robbins en 2010 s'élevait à 22 000 $ contre 55 000 $ dans le reste de l'État, selon les données du recensement.

Le shérif du comté de Cook, Tom Dart, s'est mêlé des affaires du corps policier de Robbins l'hiver dernier après que le chef de police de la municipalité eut été arrêté pour conduite avec facultés affaiblies pour la deuxième fois en moins de trois ans.

Comme ses caisses étaient vides et que la plupart de ses policiers ne travaillaient qu'à temps partiel, Robbins a accueilli avec soulagement le coup de main offert par M. Dart.

Le shérif, qui connaissait déjà l'historique peu reluisant de la ville pour avoir été procureur, était prêt à tout. Mais il ne s'attendait pas à une situation aussi catastrophique.

Il a commencé à saisir l'ampleur de la chose lors d'une réunion à l'hôtel de ville en février, lorsque les résidants ont critiqué la police et se sont plaints de plusieurs crimes restés impunis, dont une série de vols commis dans les résidences de femmes âgées pendant qu'elles étaient à l'église.

Comment expliquer l'inaction de la police de Robbins?

«Dans le meilleur des cas, manque de moyens, avance Cara Smith. Dans le pire des cas? Indifférence.» Tom Dart parle plutôt «d'incompétence flagrante, de négligence et d'un manque d'intérêt» et évoque plusieurs facteurs: le fait que plusieurs policiers ne travaillent qu'à temps partiel, la formation et la supervision inadéquate ainsi que le salaire médiocre, certains agents ne gagnant que 10 $ de l'heure.

Pour M. Dart, le plus triste dans cette histoire, c'est que ces problèmes existent depuis des décennies. «Ils sont presque institutionnalisés, affirme-t-il. Est-ce qu'il y a eu des avertissements? Mon Dieu, oui! Absolument!»