Il s'est écrit environ 40 000 livres sur John Fitzgerald Kennedy depuis sa mort. Cela n'a pas empêché Larry Sabato, directeur du Centre des études politiques de l'Université de Virginie, de faire paraître dans les derniers jours The Kennedy Half-Century. Rencontre avec l'auteur.

Q : Le président Kennedy avait complété moins de trois ans de son mandat quand il est mort. Et pourtant, vous estimez que son héritage perdure. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

R : Il a vraiment été un symbole d'une nouvelle politique américaine, et son style, son charisme, surtout par opposition aux présidents précédents, ont été amplifiés par l'importance croissante de la télévision en politique. Il y a aussi peu de doute que la tragédie de son assassinat a fait de lui une figure plus importante sur le plan historique. Si ce président n'avait pas été assassiné, il n'est pas certain que les années Kennedy - peu importe leur évolution - auraient continué à susciter autant d'intérêt un demi-siècle plus tard.

Q : Comment des présidents aussi différents que Lyndon B. Johnson, Ronald Reagan et Bill Clinton ont-ils tous pu se réclamer de JFK ?

R : Cela en surprendra peut-être plusieurs qu'un républicain, en l'occurrence Ronald Reagan, ait pu se draper dans l'héritage de Kennedy. Reagan a abondamment cité JFK pour justifier ses baisses d'impôts et sa ligne dure en matière de défense vis-à-vis de l'Union soviétique. Lyndon Johnson et Bill Clinton ont été les seuls présidents à avoir cité JFK plus souvent que Reagan. LBJ l'a fait par nécessité. Il devait rendre hommage à un président aimé et assassiné, et il a utilisé l'héritage de Kennedy pour faire adopter des lois historiques. Clinton aimait évidemment JFK et la mystique l'entourant. Mais il a également cité JFK dans le cadre d'une stratégie consciente destinée à le lier aux espoirs et aux rêves de l'ère Kennedy.

Q : Et quels sont les présidents qui ont le plus mérité de se draper dans l'héritage de JFK ?

R : Sur le plan des réalisations, la réponse est Reagan, à cause de ses baisses d'impôts et de sa fermeté face au communisme. Sur le plan de la rhétorique, Clinton s'en approche probablement le plus.

Q : Si JFK avait complété deux mandats à la Maison-Blanche, quel aurait été son héritage en matière de droits civiques et de programmes sociaux comme Medicare, l'assurance maladie des personnes âgées, deux des plus grandes réalisations de Lyndon Johnson ?

R : Kennedy est resté dans la mémoire de plusieurs personnes comme un président progressiste (liberal). Mais en réalité, JFK était un président prudent et conservateur, se souciant de sa réélection en 1964 après sa victoire étriquée de 1960. Il était conservateur sur le plan de la fiscalité, prudent sur le plan des dépenses et des déficits. En matière de droits civiques, cela lui a pris près de trois ans avant qu'il ne se décide à agir. Il n'est pas certain que la loi sur les droits civiques de 1964 aurait été promulguée, comme elle l'a été après son assassinat, surtout que JFK aurait été tenté de ménager les États du Sud pour assurer sa réélection. Quant au programme Medicare, Kennedy a appuyé l'effort original pour le créer, effort qui a échoué au Sénat en 1962. Mais JFK a seulement donné son accord à la «guerre contre la pauvreté» comme projet pilote. Après son assassinat, LBJ en a fait sa priorité.

Q : En quoi, selon vous, la réélection de JFK aurait-elle changé la conduite de la guerre du Viêtnam ?

R : Personne ne sait de façon certaine si Kennedy aurait désengagé complètement son pays du Viêtnam après sa réélection, mais presque personne ne croit que JFK, un gradualiste prudent, aurait déployé 535 000 soldats en Asie du Sud-Est comme le président Johnson l'a fait.

Q : Pourquoi estimez-vous que l'assassinat de JFK était inévitable ?

R : Les lacunes importantes de la sécurité du président au début des années 60 font en sorte que l'assassinat de JFK était sans doute inévitable. Même si les services secrets aimaient évoquer leur feuille de route parfaite depuis leur création après l'assassinat de William McKinley, en 1901, c'est seulement par chance que les tentatives d'assassinat contre Herbert Hoover, Franklin Roosevelt et Harry Truman ont échoué. Il était coutumier à l'époque de voir des foules énormes s'approcher et toucher le président sans qu'elles aient été passées au crible. Kennedy voulait que les électeurs puissent avoir une vue claire de lui et de sa femme, malgré les risques sur le plan de la sécurité.

Q : Vous avez réalisé un examen rigoureux de l'assassinat. Quelles sont les conclusions fermes auxquelles vous êtes arrivé ?

R : La conclusion la plus importante de mon livre est peut-être celle qui contredit les conclusions de la commission de la Chambre [des représentants] sur les assassinats [de JFK et de Martin Luther King]. Dans son analyse d'un dictaphone appartenant à un policier, la commission a établi à quatre le nombre de coups de feu tirés, ce qui l'a conduite à conclure que le président avait probablement été tué dans le cadre d'une conspiration. Or, grâce aux analyses acoustiques modernes, nous savons que le dictaphone n'était pas sur Dealey Plaza au moment de l'assassinat, ce qui veut dire qu'il ne peut être utilisé pour déterminer combien de coups de feu ont été tirés.