«Que Dieu préserve les Etats-Unis et cette honorable Cour». Après sa traditionnelle introduction, la Cour suprême s'est penchée mercredi sur le droit de réciter des prières en début de conseil municipal, se montrant d'emblée hésitante à chambouler la tradition américaine.

A Greece, une ville de 96 000 âmes dans l'État de New York, le clergé local est invité à dire une prière tous les mois, au début de chaque conseil municipal. Pendant huit années, ces prières étaient exclusivement chrétiennes.

Mais deux habitantes -- une athée et une Juive -- ont protesté, estimant que cette pratique était inconstitutionnelle devant une assemblée législative, en particulier pour son prosélytisme chrétien.

Soutenue par le gouvernement américain, la ville de Greece a argué que l'histoire et la tradition américaines autorisaient ce type d'incantations aussi bien dans une petite assemblée locale que dans les hémicycles du Congrès.

«C'est la tradition dans ce pays (...) et ce n'est pas l'affaire du gouvernement de réguler le contenu des prières», a déclaré Thomas Hungar, l'avocat de la municipalité, «l'histoire nous montre qu'il n'y a pas d'impact» sur la Constitution.

Dans une salle d'audience comble, alors que des Américains avaient fait la queue toute la nuit pour assister aux débats, les neuf juges de la haute Cour -- six sont catholiques, trois sont juifs -- se sont demandés si ces prières violaient le premier Amendement de la Constitution.

Celui-ci stipule notamment que «le Congrès ne fera aucune loi pour conférer un statut institutionnel à une religion». En vertu du 14e amendement, cette clause s'applique au gouvernement fédéral mais aussi aux autorités locales.

Sur les marches de la Cour Suprême, une poignée de militants brandissent des pancartes «Dieu n'est pas au gouvernement» et «Eloignez votre théocratie de ma démocratie».

«Nous représentons les 22% d'Américains qui ne sont pas religieux», explique à l'AFP Edwina Rogers, directrice de Secular Coalition for America (SCA), un rassemblement de groupes athées qui veut «en finir» avec les prières pendant les cérémonies officielles.

«Les agnostiques, les athées, les libres-penseurs n'ont pas voix au chapitre», dit-elle. «C'est inacceptable, et c'est notre Constitution qui le dit», affirme-t-elle, rappelant que le pays a été fondé sur la séparation de l'Église et de l'État.

Au milieu des manifestants, deux dirigeants de groupes religieux, à genoux, récitent des prières ininterrompues demandant à Dieu d'inspirer aux membres de la Cour Suprême une «juste décision».

Du droit «d'invoquer sa divinité»

A l'intérieur, en présence de religieuses et de prêtres en soutanes, la juge progressiste Elena Kagan, de confession juive, a commencé par dire une prière chrétienne, à évoquer le signe de Croix, et demandé si cela était «admissible» devant une assemblée législative.

«Si c'était constitutionnel par le passé, pourquoi cela serait inconstitutionnel aujourd'hui?», s'est exclamé le juge conservateur Antonin Scalia. «Les membres d'un conseil municipal comme les représentants du Congrès sont des citoyens (...) ils doivent pouvoir invoquer leur divinité» à la différence des juges et des membres du gouvernement, a ajouté ce catholique.

Représentées par l'organisation des Américains unis pour la séparation de l'Église et de l'État, les deux plaignantes Linda Stephens et Susan Galloway estiment que ces prières doivent être clairement séparées des débats politiques et être au minimum non confessionnelles.

Leur avocat, Douglas Laycock, s'est demandé comment des citoyens pouvaient espérer convaincre un conseil municipal dans un dossier local «immédiatement après l'avoir contrarié» en s'abstenant de se lever ou de participer à une prière commune.

«Ce qui me trouble dans cette affaire», a abondé la juge Kagan, c'est qu'une personne soit «immédiatement identifiée (...) si elle ne croit pas à la même chose que la majorité des gens dans la salle».

«Ce que nous essayons de faire ici c'est de maintenir une société multi-religieuse», a renchéri la juge. «Mais il semble qu'à chaque fois que nous tentons de le faire, le problème s'aggrave», a-t-elle dit, suggérant que la haute Cour ne changerait sans doute rien aux traditionnelles références religieuses dans la politique américaine.

La décision est attendue au plus tard en juin.