La voiture de police est arrivée de nulle part. Perdus au beau milieu d'une rue sombre du quartier industriel, les yeux fixés sur le GPS, nous avons été surpris par les gyrophares.

Le travail des policiers plus difficile

Le policier, vieux routier dans la fin cinquantaine, nous a à peine laissé le temps d'expliquer la situation. «Avez-vous fumé de la marijuana?», a-t-il lancé d'un ton dur à l'endroit de Martin, le caméraman.

À chaque parole qu'il prononçait, le flic humait l'air qui sortait de sa bouche, en affichant un air de plus en plus suspicieux. «Ça empeste!»

Après plus de trois heures passées à filmer une plantation de marijuana grande comme un demi-terrain de football, aucun doute que nos vêtements étaient imprégnés d'une puissante odeur de cannabis. Nous avions même des rougeurs, une réaction allergique fréquente chez les cultivateurs de pot. Mais nous n'avions pas consommé de marijuana.

Après de banales vérifications d'usage - le faisceau de lampe de poche braqué dans les yeux et une rafale de questions - le policier a cessé son enquête sommaire.

Il nous a simplement demandé si nous avions de la marijuana en notre possession. «Tant que vous me dites que vous avez moins de deux onces de marijuana sur vous, ça ne me regarde pas. Ce n'est pas de mes oignons», a-t-il lancé. Nous lui avons offert de vérifier notre équipement dans le coffre arrière de l'auto, mais il a vite refusé.

Les policiers du Colorado ont maintes fois dénoncé la légalisation de la marijuana dans leur État. Elle les force à appliquer une réglementation qui n'est pas reconnue par le gouvernement fédéral, qui continue de traiter la possession de marijuana comme un crime. Elle les place aussi dans une autre situation délicate: la possession d'importantes quantités de cannabis étant permise, il est presque impossible pour eux d'invoquer l'odeur de marijuana comme «motif raisonnable» pour entamer une fouille.

Chiens renifleurs au chômage

Le problème est si sérieux que le Bureau du procureur général de Denver vient d'informer les corps policiers de la région que leurs chiens renifleurs ne peuvent plus être utilisés pour obtenir des mandats dans les cas impliquant de la marijuana.

Résultat, plusieurs corps policiers, comme celui de Colorado Springs, ont commencé à réentraîner leurs chiens pour les désensibiliser à l'odeur de marijuana.

Il ne reste plus aux policiers qu'à se concentrer sur la conduite irrégulière de certains automobilistes pour trouver des «motifs raisonnables» leur permettant de faire des enquêtes plus approfondies. Ou encore, comme ce fut notre cas, à arrêter ceux, distraits, qui ont simplement oublié d'allumer les feux arrière de leur voiture.

Un lobby de plus en plus puissant

C'est exactement le genre de soirée qui rend les électeurs désabusés. Un cocktail-bénéfice à 2000 $, organisé par des représentants de l'industrie de la marijuana, au profit d'un représentant du Congrès démocrate.

Le 4 septembre dernier, une poignée de personnes ont participé à Denver à cette soirée politique dont le but était de «sensibiliser» le représentant Ed Perlmutter aux problèmes bancaires de l'industrie du cannabis. Puisque le gouvernement fédéral considère la possession et la distribution de marijuana comme un crime, les banques à charte - qui relèvent du fédéral - refusent d'offrir des services à l'industrie. «C'est un problème très aigu. Nous pouvons difficilement contracter des prêts par les voies traditionnelles», explique Tripp Keber, propriétaire de Dixie Elixirs. 

Les ganjapreneurs ne peuvent non plus compter sur les banques pour leurs services de paie et leurs autres besoins bancaires courants. «Beaucoup de transactions se font donc au comptant, ce qui, par définition, est un problème», affirme M. Keber.  

Mais le représentant Ed Perlmutter était visiblement déjà «sensibilisé» au problème bancaire de l'industrie, car, bien avant la soirée-bénéfice, il a publié un communiqué réclamant de Washington plus de souplesse en la matière.

Les activités de lobbyisme semblables sont fréquentes au Colorado. Selon le Denver Post, les groupes pro-marijuana ont dépensé au moins 269 000 $ en frais de lobbyisme l'année dernière. C'est quatre fois plus que les 59 000 $ versés par les groupes antimarijuana.

Au printemps dernier, «l'industrie de la marijuana a dépensé au Colorado plus que tous les autres secteurs - y compris l'industrie pétrolière et médicale. Nous avons un lobby très fort», précise Tripp Keber.

Le lobby canadien

La loi électorale fédérale interdit ce genre de soirée-bénéfice au Canada. Mais cela n'empêche pas la modeste industrie de la marijuana thérapeutique canadienne de faire pression sur les politiciens à Ottawa.

Le Commissariat au lobbying rapporte 41 rencontres de lobbyistes-conseils avec des ministres au cours de la dernière année dans lesquelles il a été question de marijuana. La plupart de ces rencontres concernent l'Association médicale canadienne, mais quelques-unes concernent des entreprises qui produisent de la marijuana, comme Advanced Greenhouse Technologies et Nature's Own RX.

Une option de retrait pour les municipalités

Un peu comme pour la Charte des valeurs proposée ici par le gouvernement Marois, l'État du Colorado a donné aux municipalités un droit de retrait leur permettant d'interdire la vente de marijuana récréative sur leur territoire.

À Denver, où on compte 200 dispensaires de marijuana médicale, les conseillers municipaux ont voté à 10 contre 1 pour la vente récréative.

Quarante-six autres villes, où vivent environ 20 % de la population du Colorado, ont plutôt voté pour des moratoires qui leur permettent de bannir la vente récréative.

C'est le cas de Colorado Springs, deuxième ville en importance de l'État, où les conseillers municipaux ont voté pour un moratoire à 5 contre 4.

«J'estime que la vente récréative aurait pour conséquence d'augmenter la consommation chez les jeunes au-delà d'un seuil socialement acceptable, explique le conseiller municipal Don Knight. Et même en considérant les taxes que la marijuana récréative pourrait rapporter, la légalisation ne vaut pas le risque qu'elle fait porter sur les deux secteurs d'activité majeurs de notre région: le tourisme et la base militaire.»

Mais la décision des élus de Colorado Springs suscite une certaine grogne dans la ville. Lors du référendum de novembre 2012, les électeurs se sont prononcés à 55 % pour la légalisation de la marijuana récréative.

«Ça ne me fait pas particulièrement plaisir de voir des élus municipaux aller contre la volonté du peuple, commente Ann Bernhard, une résidante rencontrée près de l'hôtel de ville. D'autant que, si la loi avait été appliquée comme il faut, ça aurait rapporté des revenus importants pour notre ville. Et Dieu sait qu'on en a besoin.»