En son for intérieur, Ted Cruz nourrit sans doute les mêmes ambitions présidentielles que Hillary Clinton et Barack Obama après leur élection au Sénat des États-Unis. Mais le sénateur républicain du Texas, protagoniste de la crise budgétaire à Washington, rejette à l'évidence l'approche discrète, studieuse et conciliante qui avait marqué les deux premières années des stars démocrates à la chambre haute.

Avant même le premier anniversaire de son élection au Sénat, Ted Cruz fait l'objet d'une attention qui pourrait le propulser à la tête du Parti républicain en 2016 ou le brûler vif à plus ou moins brève échéance. Âgé de 42 ans, ce natif de Calgary, où il a vécu les trois premières années de sa vie avec son père cubain et sa mère américaine, est devenu la personnification d'un blocage politique provoqué par le Tea Party, ce mouvement populiste et conservateur dont il est issu.

Les démocrates sont évidemment nombreux à le critiquer. Même Barack Obama lui a reproché de faire un mauvais usage de sa première année au Sénat.

«Je ne courtisais pas les médias et je n'essayais surtout pas de paralyser le gouvernement», a déclaré le président lors d'une interview accordée vendredi à l'Associated Press.

Mais Ted Cruz est également critiqué au sein même du Parti républicain, où certains élus et stratèges s'inquiètent de son influence.

«Il a poussé les républicains de la Chambre (des représentants) dans le trafic et s'en est allé», a déclaré Grover Norquist, célèbre militant anti-impôt, au Washington Post la semaine dernière.

«Je pense que c'est l'idée la plus stupide que j'aie jamais entendue», a déclaré le sénateur de la Caroline-du-Nord, Richard Burr, en août.

Les deux républicains faisaient référence à la croisade de Ted Cruz contre la loi sur la santé de Barack Obama. Tout au long des mois d'août et septembre, le sénateur du Texas a encouragé les républicains de la Chambre et du Sénat à poser comme condition au financement de l'État fédéral l'élimination des crédits associés à l'application de l'Obamacare, qui détruit des emplois selon lui.

Un discours de 21 heures

Cette campagne a atteint son apogée le 24 septembre lorsque Ted Cruz a entamé un discours de 21 heures au Sénat. Avant de dire son dernier mot, il allait notamment comparer ses critiques républicains aux partisans de la politique d'apaisement à l'égard des nazis.

Dominée par les républicains, la Chambre a adopté la proposition de Ted Cruz deux jours après son marathon verbal. Or, aussi populaire soit-elle au sein du Tea Party, cette proposition n'a jamais eu aucune chance d'être adoptée par le Sénat à majorité démocrate.

Au quatrième jour de la paralysie partielle de l'État fédéral, la sénatrice républicaine du New Hampshire, Kelly Ayotte, a d'ailleurs répété en public ce qu'elle avait dit la veille à ses collègues à huis clos: l'approche défendue par Ted Cruz et les ultras du Tea Party n'est pas «une stratégie gagnante».

«Revenir sur terre»

«Je dirais à mes collègues républicains de la Chambre et à certains du Sénat qu'il est temps de revenir sur terre», a-t-elle déclaré dans l'enceinte de la chambre haute.

Mais Ted Cruz est prêt à aller encore plus loin. Il estime que les républicains devraient également menacer de ne pas relever le plafond de la dette afin d'obtenir des changements à l'Obamacare. Si le Congrès ne relève pas ce plafond d'ici le 17 octobre, les États-Unis pourraient se retrouver en défaut de paiement, une situation «potentiellement catastrophique» selon le Trésor américain.

Diplômé de Princeton et de Harvard, Ted Cruz est dépeint par tous ceux qui le connaissent comme un homme d'une grande intelligence. Débatteur aguerri, il a plaidé plusieurs causes devant la Cour suprême des États-Unis à titre d'avocat principal de l'État du Texas.

Comparé à McCarthy

Mais l'homme ne semble pas porté sur les scrupules. Dès ses débuts au Sénat, il a retenu l'attention en déclarant faussement que la nomination de Chuck Hagel à la tête du Pentagone avait été «saluée publiquement par le gouvernement iranien». Il a également insinué lors de la même audition que l'ancien sénateur républicain et vétéran du Viêtnam avait «peut-être» reçu 200 000$ du gouvernement nord-coréen.

Ces déclarations ont valu à Ted Cruz d'être comparé à Joseph McCarthy, figure de proue d'une croisade anticommuniste dans les années 50. La comparaison n'est peut-être pas exagérée. Lors d'un discours prononcé en 2010, Ted Cruz a estimé que le corps enseignant de la faculté de droit de Harvard comptait, dans les années 90, «12 marxistes qui croyaient au renversement du gouvernement des États-Unis par des communistes».

En juin dernier, Thomas Mann, expert du Congrès à l'Institut Brookings, fournissait à La Presse cette description de Ted Cruz qui semble toujours d'actualité: «Il est très intelligent, provocateur et irresponsable - un mélange parfait pour le Parti républicain d'aujourd'hui.»