Des centaines de milliers de fonctionnaires américains ont été forcés mardi d'entamer des congés sans solde pour une période indéterminée, faute d'accord budgétaire au Congrès, une mesure draconienne qui épargne toutefois les fonctions essentielles, dont la sécurité.

Les élus du Congrès «avaient six mois pour voter sur le budget. Mais apparemment, ce n'était pas assez!», s'est emportée Christine Baughman, fonctionnaire rencontrée par l'AFP au coeur du quartier administratif de Washington. «Ils ne font pas leur travail et ils nous empêchent de faire le nôtre», a-t-elle ajouté.

Employés fédéraux sommés de rester chez eux, centaines de musées et de parcs nationaux fermés, sites internet officiels inaccessibles : les effets de la paralysie gouvernementale, la première du genre depuis 1996, se sont fait ressentir dès le début de la matinée dans tous les États-Unis.

Le Congrès pessimiste

Le Sénat américain a une nouvelle fois rejeté une demande de la Chambre des républicains sur le budget mardi matin, de nombreux parlementaires estimant qu'une résolution du conflit était improbable dans les prochains jours.

La Chambre, dominée par les républicains, avait adopté dans la nuit de lundi à mardi une motion visant à convoquer l'équivalent d'une commission mixte paritaire, composée à égalité de sénateurs et représentants, pour forger un compromis afin de financer l'Etat fédéral pendant quelques semaines.

Mais le Sénat a rejeté cette demande à la reprise de la séance mardi, les démocrates estimant qu'il s'agissait d'une manoeuvre dilatoire. Les démocrates, majoritaires au Sénat, exigent l'adoption rapide d'un projet de loi de finances simple de six semaines, sans articles qui viseraient à saborder la nouvelle loi sur la santé.

Le démocrate Tim Kaine a affirmé qu'avec le temps les républicains de la Chambre allaient se rendre compte «des conséquences de leurs actes», qu'il a qualifiés de «stupides».

«Je ne pense pas qu'il y aura de mouvement» mardi, a estimé le sénateur républicain Tom Coburn. «Quand ça commencera à faire un peu mal, les gens commenceront à se parler. Donc je ne pense pas que ça avancera aujourd'hui».

«Le premier test aura lieu durant les déjeuners de groupes du Sénat à midi, quand les sénateurs auront des sandwiches au lieu d'être servis par la cafétéria», ironisait le républicain John Isakson. «Si leurs sandwiches sont mauvais, peut-être que ça les forcera à négocier».

Malgré d'intenses tractations entre le Sénat à majorité démocrate et la Chambre des représentants dominée par les républicains, aucun projet de loi de finances n'a pu être adopté à temps pour le début de l'exercice budgétaire 2014, qui a commencé à 0 h mardi.

La fermeture de l'État fédéral ne devrait toutefois avoir qu'un impact limité sur la première économie mondiale, contrairement à celui qu'aurait une impasse persistante sur le relèvement du plafond de la dette. Celui-ci doit faire l'objet d'un accord d'ici au 17 octobre, faute de quoi les États-Unis ne pourront plus faire face à toutes leurs obligations financières.

La Maison-Blanche a ordonné lundi peu avant minuit aux agences fédérales de déclencher la cessation partielle de leurs activités et la mise en congés sans solde de leur personnel «non essentiel».

Le président Barack Obama, qui a prévu d'intervenir mardi à 12 h 25 mardi depuis la roseraie de la Maison-Blanche, avait averti lundi qu'une paralysie fédérale aurait «des conséquences économiques très réelles pour des gens dans la vraie vie, et tout de suite». Il a promulgué lundi soir une loi garantissant aux militaires qu'ils seront payés à temps quoiqu'il arrive.

L'échec marque le pic de 33 mois d'affrontements sur le budget entre les démocrates et les républicains, qui ont repris le contrôle de la Chambre en janvier 2011 après l'élection de dizaines d'élus de la mouvance populiste Tea Party.

Du département de la Défense à l'agence de protection de l'environnement, tous les services fédéraux sont sommés de réduire immédiatement leurs effectifs au minimum vital, parfois à seulement 5 % de leur personnel. La Maison-Blanche va fonctionner avec 25 % de son équipe.

La sécurité nationale et les services essentiels, comme les opérations militaires, le contrôle aérien et les prisons, sont globalement exemptés.

Le contentieux de l'assurance maladie

Mais environ 800 000 fonctionnaires jugés non essentiels, sur plus de deux millions, avaient quatre heures mardi matin pour se présenter à leurs bureaux, ranger leurs affaires, annuler leurs réunions et rentrer chez eux, sans garantie de paie rétroactive.

La paralysie temporaire de l'État fédéral n'a pas ému les principales places financières mondiales. Wall Street a entamé la journée très légèrement en hausse, dans la foulée des bourses européennes et asiatiques. Mais les marchés restaient prudents, en se focalisant sur la date-clé du 17 octobre pour le plafond de la dette américaine.

Démocrates et républicains se sont mutuellement rejeté la faute.

«Le président est prêt à discuter avec les républicains, comme depuis le début de l'année. Il ne laissera pas les républicains prendre les Américains en otage pour qu'il cède à leurs demandes idéologiques. Ce serait irresponsable», a dénoncé le porte-parole de M. Obama, Jay Carney, mardi matin à l'antenne de CNN.

«Le Sénat a persisté à rejeter notre offre», avait déploré John Boehner, président de la Chambre, peu après l'entrée dans la nouvelle année budgétaire. Les républicains ont fait adopter une motion visant à convoquer une commission bicamérale, mais le Sénat devrait la rejeter dès mardi matin.

Certains admettaient déjà que l'opinion rejetterait la faute sur les républicains. Ceux-ci «vont être perçus comme ayant bloqué et provoqué la cessation des activités de l'État fédéral», a déclaré lundi soir le sénateur John McCain.

De fait, selon un sondage Quinnipiac mardi matin, 77 % des Américains rejettent un recours à une fermeture partielle des activités de l'État pour bloquer l'application de la réforme de l'assurance-maladie, alias «Obamacare».

Les républicains exigeaient que tout accord budgétaire revienne, d'une manière ou d'une autre, sur cette loi emblématique du premier mandat de Barack Obama, promulguée en 2010. À partir de mardi, des millions d'Américains démunis d'assurance maladie vont pouvoir s'inscrire sur l'internet pour bénéficier d'une assurance subventionnée à partir de janvier 2014.

M. Obama devait marquer cette occasion à midi lors d'une rencontre avec quelques bénéficiaires de ce dispositif dans le Bureau ovale.

La paralysie de l'hiver 1995-96

La paralysie actuelle rappelle le précédent de l'hiver 1995-96, sous la présidence du démocrate Bill Clinton.

Le bras de fer entre l'exécutif et le législatif, dominé par les républicains exigeant des coupes budgétaires, avait entraîné la paralysie des services administratifs fédéraux, à deux reprises, pendant six jours puis trois semaines.

Huit cent mille fonctionnaires avaient été mis au chômage partiel du 14 au 19 novembre 1995 et 280 000 du 16 décembre au 7 janvier 1996. Pendant ce second «Shutdown», près de 500 000 autres fonctionnaires avaient travaillé, mais n'avaient pu être payés en temps voulu.

Le coût de cette paralysie de l'État fédéral, dont l'opinion publique avait attribué la responsabilité aux républicains, avait alors été estimé à 1,4 milliard de dollars.

Une violente tempête de neige avait aggravé la situation, empêchant la reprise du travail pendant deux autres jours, les 8 et 9 janvier.

Le compromis budgétaire avait finalement été conclu le 28 septembre 1996, entre la Maison-Blanche et les responsables du Congrès, Bob Dole au Sénat et Newt Gingrich à la Chambre des représentants.

En novembre 1996, le président Clinton avait mis son véto aux projets des républicains de réduire le financement sur sept ans de Medicare (l'assurance maladie des retraités) d'un montant plus de deux fois supérieur à celui qu'il acceptait (226 milliards de dollars contre 102 milliards) ainsi que les impôts (240 milliards contre 87).

Les démocrates s'étaient également opposés à des coupes dans les budgets de l'éducation et de l'environnement.

Les «Shutdown» avaient affecté principalement des services «non essentiels» tels que la délivrance des passeports, les parcs nationaux, les musées, les monuments comme la Statue de la Liberté. En revanche, le travail s'était poursuivi dans l'armée, la police, la poste, le contrôle aérien, la météo et les inspections sanitaires.

Le président Bill Clinton avait été réélu le 5 novembre 1996.