Depuis plusieurs années, le Dr Kermit Gosnell pratiquait des avortements tardifs dans une clinique de Philadelphie baptisée «la maison des horreurs» par des procureurs et comparée aux «toilettes sales d'une station-service» par un enquêteur.

Entouré d'un personnel non qualifié, dont une adolescente de 15 ans, ce médecin généraliste sans compétences particulières en obstétrique avait l'habitude de plonger des ciseaux dans la moelle épinière des foetus montrant des signes de vie à la sortie de l'utérus. Accusé des meurtres d'une femme et de quatre bébés (trois de moins que l'inculpation originale), il attend depuis hier le verdict du jury dans son procès, qui a commencé le 18 mars dernier.

Le cas du Dr Gosnell, 72 ans, est devenu une cause célèbre pour les opposants à l'avortement, qui y voient une illustration particulièrement affligeante du dilemme moral soulevé par l'interruption des grossesses.

«Ce qui est arrivé dans la clinique de Philadelphie aide à refocaliser le débat sur l'humanité de l'enfant à naître», a dit Michael Geer, président d'un groupe antiavortement de la Pennsylvanie, lors d'un entretien téléphonique. «Il ne devrait y avoir aucune distinction entre le fait de tuer un bébé viable dans l'utérus, ce que le Dr Gosnell a fait très souvent, et le fait de le tuer à sa sortie. Ce sont des meurtres.»

Racisme et zèle

Dans sa plaidoirie finale, l'avocat du Dr Gosnell a fait valoir que les bébés dont son client a sectionné la colonne vertébrale étaient déjà morts au moment de sortir de l'utérus. Et il a accusé les procureurs de la Pennsylvanie de racisme, d'élitisme et de zèle, leur reprochant de s'en être pris injustement à un médecin afro-américain au service d'une communauté pauvre.

«Nous savons pourquoi il a été ciblé», a déclaré lundi Jack McMahon aux membres du jury, qui compte presque autant de Blancs que de Noirs. «Si vous ne le voyez pas, vous vivez dans un monde de fantaisie.»

Le Dr Gosnell est également accusé du meurtre d'une femme de 41 ans, Karnamaya Mongar, morte après avoir reçu une surdose de Demerol. Il doit en outre répondre à 23 chefs d'accusation pour avoir exécuté des avortements au-delà de la limite légale de 24 semaines. Il risque la peine de mort.

Des sacs renfermant des foetus morts dans ses locaux

La clinique du Dr Gosnell, appelée Women's Medical Society, a fait l'objet d'une perquisition à la fin de 2010 pour une affaire de prescriptions abusives. Jusque-là, le Dr Gosnell travaillait dans des locaux empestant l'urine de chat, dotés d'équipement rouillé ou déglingué, encombré de sacs et de contenants renfermant des foetus morts, selon les enquêteurs.

Le Dr Gosnell a survécu à plusieurs plaintes et empoché des millions de dollars en exécutant des avortements tardifs. Les militants pro-choix le dénoncent, tout en accusant leurs adversaires de récupérer un cas horrible, mais isolé.

«Les actions de Kermit Gosnell étaient répréhensibles, illégales et évocatrices de l'époque des avortements clandestins d'avant Roe contre Wade», a dit Tarek Rizk, directeur des communications de NARAL, un groupe pro-choix. «Nous ne pouvons jamais retourner à cette époque.»

Les médias américains ont également été mis sur la sellette dans cette affaire. Des militants et commentateurs conservateurs les ont accusés d'ignorer le procès du Dr Gosnell pour ne pas nuire à une cause - le droit à l'avortement - qui est chère à leurs membres.

Mais Caryl Rivers, professeure de journalisme à l'Université de Boston, voit un autre phénomène à l'oeuvre.

«Le fait que cette histoire n'ait pas été beaucoup couverte tient surtout au fait que la clinique desservait une communauté pauvre, des femmes pauvres et surtout issues des minorités, et ces gens-là n'intéressent généralement pas les médias», a-t-elle dit en entrevue.