L'argument a été entendu la semaine dernière à la Cour suprême des États-Unis: en reconnaissant le mariage homosexuel comme un droit constitutionnel, le plus haut tribunal américain engendrerait un mouvement de contestation semblable à celui qui a vu le jour après l'arrêt Roe contre Wade sur la légalisation de l'avortement, en 1973.

Les défenseurs du mariage homosexuel rejettent d'emblée ce rapprochement, préférant comparer leur cause à la décision Loving contre Virginie, par laquelle la Cour suprême a mis fin à l'interdiction des mariages interraciaux en 1967. Près d'un demi-siècle plus tard, aucun Américain n'oserait descendre dans la rue ou en appeler à la justice pour contester le droit d'un Noir de se marier avec une Blanche.

N'empêche, l'argument des opposants au mariage homosexuel pourrait inciter les juges à limiter la portée de leur décision. D'autant plus qu'il est impossible aujourd'hui de nier la longévité et la ténacité du mouvement de contestation engendré par la décision Roe contre Wade. Quarante ans plus tard, des Américains continuent en effet à descendre dans la rue et en appeler à la justice pour contester le droit à l'avortement.

Et les juges de la Cour suprême devront sans doute se pencher dans un proche avenir sur la constitutionnalité de nouvelles lois adoptées par certains États pour restreindre l'accès à l'avortement.

Loi au Dakota-du-Nord

Le hasard a d'ailleurs voulu que la première journée d'audience de la Cour suprême sur le mariage homosexuel coïncide avec la promulgation, au Dakota-du-Nord, de la loi la plus restrictive des États-Unis en matière d'avortement. Le texte interdit tout avortement après l'apparition du premier battement de coeur chez le foetus, soit environ six semaines après la procréation.

Plusieurs femmes se verraient ainsi priver de leur droit à l'avortement, puisqu'elles ignorent encore, à ce stade, qu'elles sont enceintes. La loi du Dakota-du-Nord ne fait par ailleurs aucune exception pour les cas de viol, d'inceste ou de danger pour la santé de la mère.

Les élus du Dakota-du-Nord avaient déjà manifesté leur intention d'en finir avec l'avortement en approuvant récemment la tenue d'un référendum en novembre 2014 sur un amendement affirmant que la vie humaine commence dès sa conception et donnant à l'embryon la pleine protection de la loi.

Le Dakota-du-Nord, dominé par des élus issus du Parti républicain, est le 12e État américain à défier directement la Cour suprême, qui a confirmé dans un arrêt de 1992 «le droit des femmes à se faire avorter avant que les foetus ne soient viables», soit entre 22 et 24 semaines. En avril 2010, le Nebraska a ouvert la voie aux États contestataires en interdisant tout avortement après la 20e semaine. Son critère n'était pas la viabilité du foetus, mais la douleur que celui-ci pourrait ressentir à ce stade de son développement.

Avant la promulgation de la loi du Dakota-du-Nord, l'Arkansas avait adopté, en février, le texte le plus restrictif en interdisant l'avortement après la 12e semaine.

Un objectif commun

Les promoteurs de ces nouvelles lois ne veulent pas seulement réduire le nombre d'avortements dans leurs États. Ils cherchent aussi à inciter la Cour suprême à se saisir d'une des causes découlant de leurs initiatives. En effet, ils rêvent encore au jour où les juges les plus conservateurs du haut tribunal annuleront la décision Roe contre Wade.

Le Mississippi et le Colorado poursuivaient le même objectif lorsqu'ils ont organisé leur référendum pour désigner comme être humain tout embryon dès la fécondation. Ils ont perdu leur bataille, mais le Dakota-du-Nord a maintenant pris le relais de cette cause, qui crée des divisions au sein même du mouvement antiavortement.

Au final, la question du mariage homosexuel, quelle que soit la décision de la Cour suprême, ne suscitera peut-être pas un mouvement de contestation perpétuel comme c'est le cas pour la question de l'avortement. Mais le plus haut tribunal voudra sans doute éviter d'imposer à l'ensemble du pays une décision susceptible de déclencher une autre croisade morale et juridique.