«Shame on U.S.» (honte aux États-Unis, honte à nous): mercredi dernier, le Daily News de New York publiait ce jeu de mots mordant sur sa une, l'encadrant des photos des 20 enfants abattus dans la tuerie de l'école Sandy Hook de Newtown, au Connecticut, le 14 décembre.

Par cette première page sensationnelle, le tabloïd new-yorkais voulait dénoncer la décision du chef de la majorité démocrate au Sénat, Harry Reid, d'enterrer la proposition de loi visant à interdire la fabrication et la vente d'armes d'assaut, comme celle utilisée par Adam Lanza, le tueur de Newtown. Selon le sénateur du Nevada, cette mesure soutenue par Barack Obama et une majorité de ses concitoyens recueillait l'appui d'à peine 40 sénateurs, soit 20 de moins que les 60 nécessaires pour éviter l'obstruction.

Mais les États-Unis et leurs citoyens n'ont pas encore bu leur honte jusqu'à la lie, si l'on adopte le point de vue du Daily News. Aussi étonnant que cela puisse sembler, les appels répétés du président américain et de ses alliés en faveur d'un durcissement des lois sur les armes à feu pourraient, en fait, mener à un renforcement des droits des propriétaires d'armes à feu.

Bienvenue au pays de la National Rifle Association (NRA). Malgré le choc provoqué par la tuerie de Newtown, malgré la performance médiatique désastreuse de ses porte-parole après cette tragédie, le puissant lobby des armes à feu est en train de gagner sa énième confrontation avec les partisans d'un plus grand contrôle des armes à feu. Reste seulement à voir si la capitulation du Sénat à majorité démocrate sera partielle ou totale. En ce qui concerne la Chambre des représentants à majorité républicaine, c'est couru d'avance.

Vérification des antécédents

Au moment d'écrire ces lignes, trois mesures avaient encore des chances de se retrouver dans le projet de loi final qui doit être soumis au Sénat le mois prochain. La plus importante d'entre elles - et la plus populaire auprès du public - vise à généraliser les vérifications des antécédents judiciaires et psychiatriques avant tout achat d'armes à feu, même dans les foires et sur l'internet. Actuellement, environ quatre transactions sur dix échappent à tout contrôle.

Or, aucun sénateur républicain n'a encore exprimé son appui à une telle mesure, qui fait par ailleurs hésiter certains sénateurs démocrates dont les sièges seront en jeu en 2014 dans des États conservateurs. Ces sénateurs démocrates, de même qu'un certain nombre de leurs collègues républicains, seront ciblés par une campagne de 12 millions de dollars financée par le maire de New York, Michael Bloomberg, au nom de l'organisation Mayors Against Illegal Guns.

Diffusées dans 13 États, les publicités télévisées de cette campagne encourageront les citoyens à contacter leurs sénateurs «pour que les criminels et les malades mentaux dangereux ne puissent pas» acheter des armes à feu.

«La NRA occupe tout le terrain et est seule à s'exprimer. Il est temps de faire entendre une autre voix», a confié Michael Bloomberg au New York Times samedi, à l'avant-veille du lancement de sa campagne.

Mais le sénateur Reid pourrait bien réserver à la mesure souhaitée par le maire de New York le même sort qu'à la proposition sur les armes d'assaut. Il pourrait décider de l'enterrer après avoir constaté qu'elle ne recueille pas un nombre d'appuis suffisant.

En bout de ligne, le projet de loi du Sénat pourrait ne contenir qu'une seule nouvelle mesure pour restreindre l'accès aux armes à feu. Celle-ci rehausserait les pénalités pour les achats d'armes réalisés pour une personne n'ayant pas le droit d'en posséder. Le hic, c'est que les républicains ne manqueraient pas de profiter d'un tel projet de loi pour proposer une série d'amendements visant à renforcer les droits des propriétaires d'armes à feu.

Et bon nombre de démocrates n'oseraient pas s'opposer à ces amendements, de peur de déplaire à la NRA ou de passer pour des adversaires du deuxième amendement de la Constitution américaine, qui garantit à tout citoyen le droit de porter des armes.

«Nous devons changer», avait déclaré Barack Obama après la tuerie de Newton en s'adressant aux citoyens et aux élus américains. Mais la NRA peut dormir tranquille. Si le Sénat à majorité démocrate finit par adopter une mesure qui lui déplaît, la Chambre des représentants se chargera de l'enterrer une fois pour toutes.