Et si la Cour suprême des États-Unis légalisait le mariage homosexuel? À la fin du mois de juin, les juges de la plus haute juridiction américaine pourraient rendre un jugement définitif sur cette question. Mais d'abord, ils entendront, mardi et mercredi, les arguments des parties engagées dans deux causes dont nous vous présentons les enjeux, les principaux protagonistes et les retombées politiques.

Pas de doute: après l'avortement, le mariage homosexuel est la question sociale qui soulève les plus vives passions aux États-Unis. D'où le grand intérêt que suscitera la Cour suprême américaine, mardi et mercredi prochains, lorsqu'elle se penchera sur deux causes liées à ce sujet.

La première cause concerne la loi fédérale de 1996 baptisée DOMA (Defense of Marriage Act), selon laquelle «le mariage est l'union légale entre un homme et une femme». Le litige tourne autour des droits que le texte accorde au niveau fédéral aux couples hétérosexuels (succession, avantages fiscaux, déclaration commune d'impôts, etc.) mais qu'il refuse aux couples homosexuels légalement mariés.

L'autre cause porte sur la proposition 8, le référendum qui a interdit le mariage homosexuel en Californie, autorisé pendant quelques mois en 2008. Deux avocats célèbres - l'un républicain, l'autre démocrate - feront valoir que la Constitution américaine confère aux homosexuels le droit de se marier. S'ils obtiennent gain de cause, le mariage gai sera légalisé dans tous les États.

«C'est une cause très importante dans l'histoire des droits civiques, car elle pose la question fondamentale de l'égalité», a déclaré à La Presse Susan Goldberg, professeure de droit à l'Université Columbia à New York. «Notre pays s'est débattu de plusieurs façons avec cette question, et la discrimination en matière de mariage entre aujourd'hui en contradiction avec la tendance américaine de vouloir une plus grande égalité.»

Cela dit, la Cour suprême pourrait rendre un jugement sur la proposition 8 dont la portée serait limitée à la Californie. Mais elle nuirait à son autorité en ignorant l'évolution rapide de l'opinion publique sur la question du mariage homosexuel, selon la professeure Goldberg.

«Une décision de la Cour suprême confirmant la discrimination en matière de mariage entacherait sa légitimité», a-t-elle dit.

Un appui en forte hausse

L'appui au mariage homosexuel atteint un nouveau sommet aux États-Unis, selon un sondage publié conjointement par ABC News et le Washington Post au début de la semaine: 58 % des Américains croient que les gais et lesbiennes devraient avoir le droit de se marier. En 2003, seulement 37 % des Américains étaient de cet avis.

Qu'à cela ne tienne, Brian Brown, président de la National Organization for Marriage, est convaincu de la victoire, au bout du compte, des adversaires du mariage homosexuel.

«Il sera démontré que les partisans du mariage gai ont commis leur plus grande erreur stratégique en s'attaquant à la proposition 8, a-t-il déclaré lors d'une entrevue radiophonique récente. Le juge Kennedy ne déclenchera pas une autre guerre culturelle comme Roe [la décision sur l'avortement].»

Le juge Anthony Kennedy, conservateur modéré, est souvent la voix qui fait pencher la balance d'un côté ou de l'autre. Il pourrait effectivement se ranger du côté des juges les plus conservateurs dans cette cause. Mais Vicky Henry, avocate au sein d'une organisation de défense des droits des homosexuels, pense plutôt qu'il se montrera progressiste sur cette question. Elle prédit même qu'il pourrait bien ne pas être le seul juge conservateur du tribunal à le faire.

«Si nous obtenons gain de cause dans l'une ou l'autre des causes - ou dans les deux -, je pense que ce ne sera pas par une décision de 5-4. Je pense qu'il est possible que nous ayons une décision de 6-3 ou plus», a dit l'avocate lors d'un entretien téléphonique.

La Cour suprême rendra son jugement définitif en juin.

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Ces politiciens qui font volte-face

Tout se passe comme si certaines personnalités américaines ne voulaient pas être débordées sur leur gauche par la Cour suprême sur la question du mariage homosexuel. D'où les nombreuses volte-face auxquelles on assiste ces jours-ci.

«Les Américains LGBT [lesbiennes, gais, bisexuels et transgenres] sont nos collègues, nos professeurs, nos soldats, nos amis, nos proches. Ce sont des citoyens égaux aux autres, avec les mêmes droits que les autres. Et cela inclut le mariage», a déclaré Hillary Clinton au début de la semaine, rejoignant son mari Bill et plusieurs autres démocrates parmi les personnalités politiques qui ont abandonné leur opposition au mariage homosexuel.

Son revirement pourrait lui servir si elle décidait de briguer la présidence en 2016.

Les républicains participent aussi à ce repositionnement. L'ancien gouverneur de l'Utah Jon Huntsman, candidat potentiel à la course à la Maison-Blanche en 2016, fait ainsi partie des 131 figures influentes de son parti qui ont signé un document appelant la Cour suprême à légaliser le mariage homosexuel.

Au groupe des républicains favorable au mariage homosexuel s'est ajouté la semaine dernière le sénateur de l'Ohio Rob Portman, qui faisait partie de la courte liste des colistiers potentiels de Mitt Romney. Il a dit avoir changé d'avis sur cette question après que son fils lui eut annoncé son homosexualité.

Le Parti républicain demeure néanmoins opposé au mariage gai.

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Les principaux acteurs

Cause: loi de défense du mariage

Edith Windsor

Edith Windsor, une homosexuelle octogénaire habitant New York, a fait appel aux tribunaux en 2009, après le décès de sa compagne, avec laquelle elle s'était mariée en 2007 au Canada. Elle veut bénéficier des déductions fiscales sur la succession accordées aux couples hétérosexuels, ce dont elle est privée en vertu de la loi de défense du mariage. En attendant, elle doit 363 000 $ au fisc américain.

Paul Clement

Normalement, la loi de défense du mariage devrait être défendue par l'avocat du gouvernement actuel. Mais, comme l'administration Obama juge cette loi inconstitutionnelle, il reviendra à Paul Clement, ancien avocat du gouvernement de George W. Bush, de la défendre, au nom des républicains de la Chambre des représentants. L'an dernier, il a représenté 26 États dans leur plainte contre l'«Obamacare».

Cause: proposition 8

Theodore Olson

Sur les 55 causes qu'il a défendues devant la Cour suprême, Ted Olson en a remporté 46, dont la plus célèbre est «Bush contre Gore», qui a permis l'élection de son client, George W. Bush, à la présidence en 2000. L'éminent juriste conservateur a créé la surprise en devenant l'un des principaux avocats des opposants à la propositon 8, qui a interdit le mariage homosexuel en Californie.

David Boies

Dans la cause «Bush contre Gore», David Boies faisait face à Theodore Olson en tant qu'avocat d'Al Gore. Il fait aujourd'hui équipe avec son ancien adversaire pour convaincre les juges de la Cour suprême d'invalider la proposition 8. À la fin des années 90, il a représenté le département de Justice américain dans sa cause contre Microsoft, accusé de monopole.

Andrew Pugno

Après avoir rédigé la proposition 8 et fait campagne pour son adoption, Andrew Pugno est devenu l'un des principaux avocats des opposants au mariage homosexuel devant la Cour suprême. Il a notamment retenu l'attention en accusant le juge fédéral Vaughn Walker, qui a invalidé la proposition 8 en 2010, de manquer d'impartialité en raison de son homosexualité.