Mercredi prochain, il y aura 10 ans que George W. Bush a annoncé le début de l'invasion de l'Irak. À la veille de ce sombre anniversaire, nous revenons sur l'expérience irakienne de Peter Van Buren, ancien diplomate américain, qui dresse un bilan implacable de l'intervention américaine. Et nous rappelons ce que sont devenus quelques-uns des grands acteurs américains de cette tragédie.

L'idée semblait bonne sur papier: construire une usine de transformation du poulet à la fine pointe de la technologie qui emploierait 150 Irakiens et approvisionnerait les magasins d'alimentation de la région de Bagdad en poitrines, cuisses et ailes rigoureusement halal et emballées mécaniquement.

L'usine a ouvert ses portes en janvier 2010, mais n'a pas employé un seul Irakien ou transformé un seul poulet, si l'on fait exception des Irakiens et des poulets rameutés pour une démonstration à l'intention des journalistes et des représentants de l'ambassade des États-Unis à Bagdad. Les concepteurs du projet avaient oublié de tenir compte de certaines réalités irakiennes, dont les fréquentes pannes d'électricité, le manque de camions de livraison réfrigérés et l'absence d'un véritable réseau de magasins d'alimentation.

L'usine Al Kanz n'est pas le projet irakien le plus coûteux dans lequel les Américains auront englouti leur argent, tant s'en faut. Mais 10 ans après le début de la guerre en Irak, ce projet symbolise l'«échec total» de l'intervention américaine aux yeux de Peter Van Buren, ancien diplomate envoyé en 2009 par le département d'État américain en Irak pour contribuer à l'effort de reconstruction de ce pays.

«Notre objectif était de vraiment gagner la guerre en fournissant aux Irakiens une économie, une société et une démocratie grâce auxquelles ils pourraient vivre et prospérer. Et pour atteindre cet objectif, nous disposions de sommes d'argent extraordinaires. Mais ce que j'ai vu en Irak, c'est un gouvernement américain qui n'avait qu'une chose en tête: promouvoir ses propres intérêts, faire sa propagande», dit Peter Van Buren lors d'une entrevue téléphonique.

Mensonges et incompétence

Âgé de 52 ans, Peter Van Buren a travaillé pendant 24 ans au département d'État américain. Il a raconté son expérience en Irak dans un livre intitulé We Meant Well (Nous avions de bonnes intentions), qui lui a coûté son poste.

L'ex-diplomate n'est évidemment pas le premier à critiquer l'intervention américaine en Irak dans un livre. D'autres auteurs ont dénoncé les mensonges ou faussetés avancés par les membres de l'administration Bush pour justifier la guerre. D'autres encore ont déploré l'incompétence des responsables civils et militaires chargés de mener la guerre.

Mais le livre de Peter Van Buren, publié à quelques semaines du départ du dernier soldat américain d'Irak, démontre bien que cette intervention commencée dans le mensonge et l'incompétence a fini de la même façon.

«Les États-Unis ont été défaits», dit l'auteur de We Meant Well, un titre qu'il ne faut pas lire au premier degré. «Nous n'avons réalisé aucun de nos objectifs en Irak. Le président Obama lui-même a déclaré en 2009 à la base de camp Lejeune que notre objectif était un Irak stable qui soit un allié dans la guerre contre le terrorisme. Nous n'avons pas atteint cet objectif. Nous avons perdu.»

Les défenseurs de la guerre en Irak contesteraient sans doute ce verdict en faisant valoir que le monde se porte mieux depuis la chute de Saddam Hussein. D'autres évoqueraient le «succès» de la stratégie de contre-insurrection mise en place en Irak par le général David Petraeus après l'envoi de troupes supplémentaires en 2007.

Une guerre déjà lointaine

Mais Peter Van Buren n'accepte aucun de ces arguments. Le départ de Saddam Hussein représente à ses yeux une victoire pour l'Iran, qui trouve aujourd'hui à Bagdad un régime allié plutôt qu'ennemi. Quant au succès de la stratégie du général Petraeus, il est négligeable dans l'ensemble du fiasco irakien, selon l'ancien diplomate.

«L'Irak demeure un endroit instable et dangereux qui ne joue aucun rôle dans la politique étrangère des États-Unis», dit-il.

À la veille du 10e anniversaire du début de la guerre en Irak, Peter Van Buren a évacué une bonne partie de la colère qui l'a poussé à écrire We Meant Well à son retour aux États-Unis. Cette colère a été remplacée par une bonne dose de tristesse.

«J'aimerais pouvoir dire que nous ne serons pas aussi stupides la prochaine fois, mais j'ai peur que nous le soyons, explique-t-il. Le peuple américain a une capacité de concentration remarquablement limitée. Aujourd'hui, quand je vais parler de l'Irak à des groupes, c'est comme si je parlais d'événements appartenant à la guerre de Sécession. Tout cela semble très loin.

«Et quand je pense à la rhétorique qui a été utilisée pour justifier l'intervention américaine en Libye, ou quand j'entends les sénateurs [John] McCain et [Lindsey] Graham parler de la Syrie, je vois l'histoire se répéter. Je vois des gens préparer le peuple américain à une autre guerre, à une autre sorte de conflit. J'ai peur que nous n'apprenions rien, ou si peu, de ces tragédies. J'ai peur que cela soit le véritable héritage de la guerre en Irak.»

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10 ans plus tard, ce qu'ils sont devenus

George W. Bush

Depuis son départ de la Maison-Blanche, George W. Bush se fait relativement discret. Le 43e président a certes prononcé quelques conférences et écrit ses mémoires, mais il n'a rien d'un Jimmy Carter ou d'un Bill Clinton, deux ex-présidents hyperactifs. Il consacre en fait une bonne partie de son temps à son nouveau dada, la peinture.

Dick Cheney

À l'opposée de George W. Bush, Dick Cheney demeure un intervenant important dans les débats de l'heure sur la sécurité nationale. Après avoir reçu un nouveau coeur il y a près d'un an, l'ancien vice-président continue ainsi à critiquer les politiques de Barack Obama et à défendre les décisions de l'administration Bush auxquelles il est associé.

Donald Rumsfeld

Après avoir publié ses mémoires en 2011, Donald Rumsfeld fera paraître en mai un autre ouvrage, intitulé Rumsfeld's Rules: Leadership Lessons in Business, Politics, War, and Life. Le livre de l'ancien secrétaire à la Défense inclura des leçons proposées par l'humoriste Jon Stewart et l'ancien entraîneur de football Mike Ditka, entre autres.

Condoleezza Rice

Conseillère pour la sécurité nationale et secrétaire d'État sous George W. Bush, Condoleezza Rice est retournée en 2009 comme professeure à l'Université Stanford, où elle avait été rectrice de 1993 à 1999. Elle a prononcé en août 2012 un des discours les mieux reçus à la convention du Parti républicain à Tampa.

Colin Powell

Colin Powell n'a jamais désavoué son appui à la guerre en Irak. Mais l'ancien secrétaire d'État a abandonné son parti en 2008 et 2012 en soutenant Barack Obama à la présidence. Il consacre désormais une partie de son temps à la fondation America's Promise, qui vise à améliorer la vie des jeunes Américains.

David Petraeus

Sur le plan militaire, le général David Petraeus avait acquis un statut de héros en mettant en place en Irak une nouvelle stratégie de contre-insurrection. Ses aveux sur sa relation extraconjugale avec sa biographe lui auront non seulement coûté ce statut, mais aussi son poste de chef de la CIA en novembre 2012.