Le juge militaire de Guantanamo a ordonné que les témoignages des accusés du 11-Septembre sur les abus qu'ils ont subis pendant leur détention secrète, soient gardés secrets et débattus à huis clos, en l'absence des médias et du public.

Dans un jugement daté du 6 décembre mais dévoilé mercredi sur le site internet des tribunaux militaires d'exception, le juge James Pohl a approuvé la demande du gouvernement américain de maintenir le caractère secret de ces témoignages au nom de la sécurité nationale.

Au coeur du débat, les mauvais traitements assimilés à de la torture que le Pakistanais Khaled Cheikh Mohammed et ses quatre co-accusés ont endurés lors de leur détention dans des prisons secrètes avant leur transfert à Guantanamo en 2006. Les cinq hommes encourent la peine de mort pour le meurtre de près de 3.000 personnes à New York, Washington et Shanksville, en Pennsylvanie.

«Comme les accusés ont été détenus et interrogés selon le programme de la CIA, ils ont été exposés à (...) des méthodes et des activités classifiées (...) et sont en position de révéler ces informations publiquement», arguait le gouvernement américain dans son recours.

Une organisation de défense des droits de l'homme, l'ACLU, et 14 médias s'étaient formellement opposés au secret des débats et avaient dénoncé cette «censure», lors d'une audience en octobre sur la base navale américaine de Guantanamo à Cuba.

Le jugement rendu le 6 décembre concerne toutes les informations susceptibles d'être soulevées à l'audience concernant «les détails autour de la capture des accusés», les pays où ils ont été détenus au secret de 2003 à 2006 pour quatre d'entre eux, «les noms, les identités, les descriptions des personnes impliquées dans leur capture, leur transfèrement, leur détention ou leurs interrogatoires», «les techniques d'interrogatoire renforcées» ou la «description de leur lieu de détention».

Le gouvernement avait soumis au juge Pohl «des déclarations sous scellés de représentants de la CIA, du Pentagone et du FBI (...) expliquant comment la publication de toutes les informations classifiées en question seraient préjudiciables à la sécurité nationale».

«Le tribunal juge que cette affaire implique des informations classifiées sur la sécurité nationale, y compris des informations Top Secret dont la publication serait préjudiciable à la sécurité nationale», a encore écrit le juge.

Le différé de 40 secondes «institutionnalisé»

Le colonel Pohl a aussi décidé, également à la demande du gouvernement, «d'institutionnaliser une pratique utilisée depuis plusieurs années, baptisée la règle des 40 secondes», qui impose un différé dans la retransmission des débats, y compris dans la salle d'audience.

Dans les lieux de diffusion des audiences et dans la salle du tribunal où ils sont cantonnés derrière une paroi de verre, le public et les journalistes entendent les échanges avec 40 secondes de retard. Ce délai permet à un censeur d'appuyer sur un interrupteur et de brouiller toutes les déclarations jugées sensibles pour la sécurité nationale.

«Ce délai permet au tribunal d'évaluer et d'empêcher toute publication intentionnelle ou par erreur d'informations classifiées», a écrit le juge.

A l'audience d'octobre, Hina Shamsi, avocate de l'ACLU, avait dénoncé une «antichambre de la censure» qui prive le grand public d'informations précieuses pour le procès pour terrorisme «le plus important de notre temps».

«Ce différé est l'outil avec lequel le gouvernement empêche, de manière anticonstitutionnelle, le public d'entendre les témoignages sur la torture», a réagi l'avocate mercredi dans un communiqué.

«Cette décision sape la prétention du gouvernement à un système de justice militaire transparent et porte un coup grave à sa légitimité».